La Tisseuse (Fang Zhi Gu Niang) de Wang Quan’an (2009)

Ouverture du 16e festival des Cinémas d’Asie de Vesoul (2010)

Pour son quatrième long-métrage, Wang Quan’an reste fidèle à son actrice fétiche, la très jolie Yu Nan, héroïne de tous ses films, notamment du Mariage de Tuya, Ours d’Or du festival de Berlin en 2007. Yu Nan joue cette fois le rôle d’une ouvrière dans un atelier de tissage. L’ouverture en plan-séquence démontre d’emblée l’ambition du cinéaste dans sa mise en scène. Li Li, le personnage incarné par Yu Nan, est en train de pester contre une retenue sur son salaire, parce qu’elle a osé mangé pendant son temps de travail, au mépris des quelques minutes qu’on lui accorde habituellement en guise de pause déjeuner…

Malgré le titre du film et cette ouverture, on aurait tord de s’imaginer dans un film social. L’histoire s’inscrit dans un contexte précis mais l’ambition de Wang Quan’an n’est pas de rendre compte du malaise social chinois. Li Li est maman d’un petit garçon. Un jour après le travail, alors qu’elle conduit son fils à sa leçon de piano, Li Li saigne du nez. On le voit tout de suite arriver et Wang Quan’an ne cherchera pas à nous duper : Li Li est malade et gravement malade. Victime d’un cancer du sang, le médecin ne lui donne que quelques semaines à venir, à moins d’un traitement très couteux qui lui offrirait un sursis.

L’héroïne accumule les difficultés et l’on doute qu’elle puisse défier la fatalité. Cependant, malgré le caractère sordide de l’histoire, Wang Quan’an ne verse pas dans le pathos. Le cinéaste s’intéresse à son héroïne, dessine son portrait, l’accompagne mais ne cherche d’aucune manière à construire un mélo. Wang évite ainsi deux éceuils traditionnel du cinéma chinois : ni un film social, ni un mélo, juste le portrait d’une jeune femme pas comme les autres parce que victime de son destin.

Dans un premier temps, Li Li se montre complètement résignée et on la comprend effectivement. Elle est pauvre et gravement malade, elle n’a aucun moyen de lutter alors « à quoi bon ? » . Wang Quan’an accompagne son héroïne dans sa volonté d’en finir. La scène est filmée simplement sans complaisance, avec beaucoup de tact. Premier véritable moment fort du film. Mais le jeune fils interrompt sans le savoir sa maman dans sa démarche suicidaire. L’autre grande scène du film correspond à un second moment ou Li Li se met en danger, la tête posée sur les rails alors que le train s’apprête à passer. La caméra glisse et laisse Li Li hors champ. Le train traverse l’écran et l’on ne sait pas immédiatement si le drame a été évité. On devine, mais on n’est pas complètement sûrs. Mais là encore, Li Li fait marche arrière et va continuer de vivre…

L’hypothèse de suicide évacuée, la maladie devient un prétexte pour que suivre Li Li dans sa quête d’un passé regretté. La jeune femme a jadis aimé un autre homme. Elle revient vers lui, dans l’idée d’un dernier aurevoir on l’a compris, sauf qu’elle ne confie pas sa détresse. Les deux anciens amants passent juste un peu de temps ensemble à s’interroger sur ce qui les a conduit à se séparer. Li Li vit dans la nostalgie de ces instants dépassés. On a le sentiment que la seule chose qui intéresse Wang Quan’an, c’est cette histoire d’amour avortée.

On en a d’autant plus l’impression que la dernière demi-heure est traitée de façon assez déconcertante. La narration est de plus en plus elliptique et le cinéaste ne semble pas attacher la moindre importance à la crédibilité de ce qu’il décrit, concernant le processus médical du moins, avec une héroïne qui ne parait absolument pas affaiblie malgré les traitements qu’elle subit.

Au final, on a l’impression d’un film qui désamorce soigneusement tous les enjeux posés en jalon tout au long de la narration. Les problématiques financières qui sont posées,  les question de précarités sociales ou du devenir de l’enfant une fois que sa mère sera partie, tous ces enjeux sont effleurés mais jamais explorés. Même le temps passé avec l’ancien amant n’aboutit finalement à rien,  aucune révélation, aucun échange, aucune complicité retrouvée. Li Li retourne à sa vie subitement, dans un volte/face tout à fait semblable à ses tentatives de suicides avortées.

Le sujet est lourd mais Wang Quan’an n’assume jamais la noirceur de son film. Il évite le pathos certes, mais il ne parvient pas nous toucher pour autant. L’émotion ne s’impose jamais, le cinéaste s’appliquant pudiquement à ne jamais la laisser se déployer.

On se souvient du merveilleux mélo de Wang Xiaoshuai, Une Famille Chinoise (également avec Yu Nan dans un rôle secondaire). Les sujets se ressemblent mais Xiaoshuai parvenait, au-delà de l’aspect larmoyant totalement et brillamment assumé, à raconter la société chinoise, allait même jusqu’au bout de son propos. En comparaison, on a vraiment le sentiment qu’avec La Tisseuse Wang Quan’an passe lui à côté de son sujet. La déception est réelle car le talent du réalisateur est manifeste. Le Mariage de Tuya avait d’ailleurs été pour nous aussi un vraie bonne surprise.

On aura vite l’occasion de tourner la page. Wang Quan’an présentera cette année , à Berlin encore et en compétition pour un deuxième Ours d’Or, son cinquième long-métrage, Tuan yuan

Benoît Thevenin

Filmographie de Wang Quan’an :

1999 : Eclipse de lune
2005 : The Story of Ermei
2006 : Le Mariage de Tuya
2009 : La Tisseuse
2010 : Tuan yan

Filmographie de Yu Nan :

1999 : Eclipse de lune de Wang Quan’an
2003 : Fureur de Karim Dridi
2005 : The Story of Ermei de Wang Quan’an
2006 : Le Mariage de Tuya de Wang Quan’an
2007 : My DNA Says I Love You de Yun Chan Lee
2007 : Diamond Dogs de Shimon Dotan
2008 : Une Famille chinoise de Wang Xiaoshuai
2008 : Speed Racer d’Andy et Larry Wachowski
2008 : Deadly Delicious de Zhao Tianyu
2009 : La Tisseuse de Wang Quan’an


La Tisseuse – Note pour ce film :
Sortie française le 24 février 2010

Lire aussi :

  1. Wang Liang’s Ideal (Wang Liang de li xiang) de Gao Xiongjie
  2. Une Famille chinoise (Zuo You) de Wang Xiaoshuai (2008)
  3. Apart Together (Tuan Yuan) de Wang Quan’An (2010)
  4. 11 fleurs (Wo 11) de Wang Xiaoshuai (2011)
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Aucun commentaire sur “La Tisseuse (Fang Zhi Gu Niang) de Wang Quan’an (2009)”

  1. vierasouto dit :

    Je n’avais déjà pas été transportée par « Le Mariage de Tuya », là, ça sera sans moi…

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