Hadewijch de Bruno Dumont

La mystique religieuse faisait déjà partie intégrante de la lecture des précédents films de Bruno Dumont. Pour son cinquième long-métrage , elle constitue le point central. L’héroïne est une jeune fanatique du Christ, chassée de son couvent car sa foi extatique inquiète la Mère Supérieure. Céline est renvoyée à la vie civile, ou on espère pour elle qu’elle trouvera d’autres voies à son épanouissement spirituel.

C’est cette notion spirituelle qui est essentielle chez Dumont, puisque c’est ce champs là que le cinéaste interroge constamment. Son cinéma a toujours bousculé les mœurs, Dumont s’attachant à décrire quelque chose de l’ordre de l’horreur sociale, en s’y confrontant sans détour et sans imposer de jugement.

Via le parcours de Céline, Dumont explore cette fois une thématique particulièrement sensible de ce début de siècle : le fanatisme et l’extrémisme religieux. Le regard de Dumont sur cette question est particulièrement subtile. Le cinéaste impose d’abord un personnage en contradiction avec les schémas de représentation habituels. Céline est une jeune fille passionnément amoureuse du Christ, qui se consûme littéralement de son désir pour lui. Sa passion n’empiète cependant jamais sur l’espace de liberté des autres. Céline est une jeune personne qui reste quand même ouverte d’esprit. Le personnage est dès plus difficile à déchiffrer. Est-elle une fille fragile en quête de repères ou une personne à la force morale (et spirituelle) inébranlable et qui a pleinement conscience de ce qu’elle fait et de la voie qu’elle emprunte ? Céline navigue en fait entre toutes ces eaux et c’est ce qui la rend si mystérieuse et fascinante. Elle hypnotise le spectateur de la même manière qu’elle séduit un jeune homme, sans doute pressé de la mettre dans son lit, mais qui sous son emprise se révèle d’une patience étonnante.

Quand elle est renvoyée de son couvent , Céline revient à Paris, à sa vie de fille de diplomate. Elle erre seule dans la ville. Dans un bar, elle est accostée par un trio de garçons, tous maghrébins, et qui de par leurs seules élocutions démontrent qu’ils n’appartiennent pas au même monde que la jeune nantie. La situation est potentiellement dangereuse pour Céline, en tout cas pas forcément rassurante. Elle est seule livrée à elle-même face à trois garçons intéressés et relativement pressants.  Le spectateur se demande alors si la révélation de sa chrétienté ne lui sera pas fatale face à des individus dont on devine qu’ils sont plutôt intéressés par l’Islam. Le rapport entre christianisme et islam étant si sensible, et parce que l’on a en tête aussi les crimes mis en scène brutalement par Dumont dans ses précédents film, la situation dans laquelle Céline se laisse conduire est sans doute inquiétante.

Dumont prend le contre-pied de ce sentiment là et c’est ce qui va faire le grand intérêt et la profondeur du film. Un dialogue presque inédit, respectueux et apaisé, s’installe entre la jolie chrétienne étudiante en théologie et un imam quelque peu ambigu. Personne n’est a priori dupe du glissement qui commence à s’opérer pour Céline. En tous les cas, la façon dont les deux personnages se lient sur la question commune de la foi est à la foi ambitieuse et évidente, quoique fragile.

Le basculement intervient lorsque l’Imam instruit un discours fort, intelligible, qui légitime par ricochet la violence politique et notamment le terrorisme fomenté par les religieux fondamentalistes.  Il est évident que le processus d’embrigadement est enclenché, que Céline est manipulée, mais en même temps, Dumont pose un débat fort, philosophiquement puissant, mais qui engage aussi morale, responsabilité et valeurs. Le questionnement heurte mais il est important de voire au-delà de la provocation éventuellement ressentie. Dumont, à chaque film, perturbe parce que certains le voient comme un dangereux extrémiste, alors que d’autres le considèrent comme un véritable humaniste, quelqu’un qui prend en compte les problèmes du monde et interroge le comportement des individus. La qualité de Dumont est de rester toujours suffisamment en retrait pour ne pas imposer son propre jugement. Le spectateur est en théorie assez grand pour construire une réflexion personnelle.

La mise en scène et le découpage de Dumont participe de la construction intellectuelle du film. Elle permet notamment de se rendre compte de la trajectoire suivie par Céline.  Le rythme est d’abord relativement lent, plutôt linéaire et qui correspond à l’état psychologique  d’une jeune fille apparemment en phase avec elle-même. Progressivement, Dumont impose une narration toujours plus elliptique qui participe autant de la perte des repères de Céline que de ceux des spectateurs.   Lorsque la violence surgit en point d’aboutissement, elle remet en question pas mal d’idées préalables. Elle sidère parce que l’on ne s’y est pas tout à fait préparé, mais alimente une réflexion nécessaire et primordiale sur le monde, le désespoir, la violence, et notre aspiration dangereuse à l’éternité, entre autre.

Hadewijch est pour nous le plus grand film de cette année, une œuvre qui allie une véritable réflexion, passionnante et qui interroge subtilement et avec pertinence le monde dans lequel on vit, à un travail esthétique rigoureux et lui aussi fascinant (composition des plans, photo etc. ). Le film est par moment complètement envoûtant (la scène du concert).

Bruno Dumont est aussi plus que jamais un formidable directeur d’acteur. Comme à son habitude, ses acteurs sont tous non-professionnels , et tous sont à l’écran d’une justesse exemplaire, Julie Sokolowski en tête, bien sûr. On espère la revoir bientôt , comme on a plaisir à retrouver en ce moment Adélaïde Leroux (Home, Séraphine etc.), révélation de son précédent film (Flandres, 2006).

Benoît Thevenin

Filmographie de Bruno Dumont :

1997 : La vie de Jésus
1999 : L’Humanité
2003 : Twentynine Palms
2006 : Flandres
2009 : Hadewijch


Hadewijch – Note pour ce film :
Réalisé par Bruno Dumont
Avec Julie Sokolowski, Yassine Salihine, David Dewaele, Karl Sarafidis, …
Année de production : 2008
Sortie française le 25 novembre 2009

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