Ma Loute de Bruno Dumont (2016)

maloute

 

Eté 1910. La fastueuse résidence secondaire des Van Peteghem domine et donne vue sur toute la Baie de la Slack, sur la Côte d’Opale. L’Inspecteur Machin et son assistant Malfoy enquêtent sur une étrange série de disparitions. Fils unique des riches et fantasques époux Van Peteghem, Billie, qui aime se déguiser en fille, commence lui/elle a nouer une relation avec Ma Loute, l’ainé d’une famille de pêcheurs affreux, sales et méchants.

Bruno Dumont s’était essayé à la comédie avec l’extravagante enquête policière de P’tit Quinquin, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2014 mais dévolu à une diffusion télé en deux parties sur Arte. Ma Loute est exactement dans la même lignée, entre burlesque et absurde, à la fois décalé et outrancier, quitte à susciter peut-être un certain malaise. Le cinéaste de La Vie de Jésus et de L’Humanité s’est toujours plu à mettre en scène des héros aux « gueules cassées », sans que l’on soit toujours complètement assuré de ses bonnes intentions. Le doute tient au fait que l’on ne sait jamais si Dumont aime ses personnages ou s’il se plait à les caricaturer seulement dans une logique de provocation, d’obscène et d’humiliation. Se poser la question revient cependant à s’interroger sur la qualité même de notre propre regard de spectateur.

Dans Ma Loute, les intentions de Bruno Dumont semblent un peu plus claires. Les personnages en bas de l’échelle sociale sont tous joués par des comédiens inconnus et aux « gueules cassées ». Pour autant, si les membres de la famille Van Peteghem sont incarnés par des stars comme Fabrice Luchini, Valeria Bruni-Tedeschi et Juliette Binoche, ceux-si sont quand même grimés de façon grotesque. La seule figure pure, si l’on peut dire, ce serait alors le jeune Billie, dont on ne sait pas trop s’il est un garçon ou bien une fille. Le cinéaste se place ainsi clairement dans le registre de la farce, privilégiant l’humour burlesque et usant de la métaphore pour mieux parler de la société aujourd’hui. Dumont illustre l’entre-soi des élites bourgeoises, leur morale débridée et extravagante, leur façon de dominer aveuglement et sans daigner la moindre attention envers ceux en bas de l’échelle sociale ou encore leur dévotion envers l’Eglise. Quant à La famille de pêcheurs, parce qu’il ne pêchent pas grand chose, leur travail consiste essentiellement à porter sur leurs épaules ceux qui les paient et les exploitent pour traverser la rivière. S’ils sont une famille anthropophage, c’est aussi parce qu’ils n’ont sans doute rien d’autre que de la chair humaine à se mettre sous la dent.

Mis en scène avec une profonde rigueur esthétique – chaque plan est sublime – , Ma Loute ressemble en fait à une bande-dessinée. Les gags en sont digne alors que les visages et les postures improbables des comédiens semblent sortir de l’imagination d’un dessinateur. Il faut dire que le film, tellement excessif dans tous ses aspects, ne permet guère le jeu des comparaisons, quand bien même Ettore Scola ou Federico Fellini y auraient sans doute trouvés leur compte. Ma Loute est une sorte d’objet visuel inédit, incroyable dans sa forme et intéressant dans son fond, mais qui souffre tout de même de son caractère extrême. Hilarant pour partie, Ma Loute s’avère épuisant, s’étire en longueur quitte à lâcher le spectateur, voir même l’exaspérer. Quand Juliette Binoche entre en piste, sa loufoquerie relance l’esprit drôlatique du film, mais elle devient vite inarrêtable et insupportable. Cela résume tout le film. Ma Loute est brillant, Ma Loute est plutôt unique en son genre et efficace dans son registre d’humour, mais le meilleur moment de Ma Loute, pour le spectateur éprouvé,  reste celui ou ces deux heures de joyeux bordel se terminent enfin.

Benoît Thevenin

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Un commentaire sur “Ma Loute de Bruno Dumont (2016)”

  1. Axel dit :

    C’est l’heure de l’apéri, c’est l’heure de l’apéri…

    Bien d’accord avec ta critique. Je reste fasciné par les propositions de Binoche, Luchini… les moments slapstick à la Tati… il n’empêche que ça tourne en rond.

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