Bancs publics (Versailles Rive Droite) de Bruno Podalydès (2009)

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Comme Fuzati, Bruno Podalydès est né sous le signe du V. Le cinéma du frère de Denis s’enracine à Versailles, dans cette ville de la banlieue chic de Paris, mais ne véhicule pas les idées moroses de son colocataire rappeur. Non, le cinéma de Bruno Podalydès est un cinéma léger, fantaisiste, souvent drôle et plutôt sensible. Bruno et son frère Denis s’étaient fait connaître avec Versailles Rive Gauche, moyen-métrage assez irrésistiblement drôle qui révélait dans cette famille à la fois de formidables comédiens, mais aussi pour Bruno un cinéaste déjà intéressant.

Versailles est le théâtre de Dieu seul me voit, autre belle réussite de Bruno, et maintenant de Bancs Publics dont le titre fait référence à la chanson de Brassens. L’air est d’ailleurs chanté par Ridan dans la toute première séquence du film, dans le métro.

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On ne peut pas dire que Bancs publics soit mauvais, parce que le film fourmille de bonnes idées, de gags assez atypiques. On sourit beaucoup, mais on est jamais convaincu et cela tient au procédé du film. Bancs publics n’est pas a proprement parler un film-choral, genre dans lequel la cinéma français se fourvoie quasi perpétuellement – en témoigne encore le terriblement navrant Je vais te manquer d’Amanda Sthers sortit récemment – mais en a toutes les caractéristiques.

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Bancs publics n’est pas vraiment un film choral mais enchaîne les saynètes près de deux heures durant. On sent parfois une volonté de faire du Tati. Enfin… le film semble tendre un peu vers cet esprit là parfois. On en est loin. Cet empilement de saynètes devient un prétexte à un enchaînement continu d’apparition courtes d’à peu près tous ceux qui comptent aujourd’hui un minimum dans le cinéma d’auteur français. Le casting est impressionnant mais au-delà de ça, l’intérêt est pauvre, le rythme du film s’essouffle de lui même car à part les blagues isolées qui régulièrement font mouches, on peine à suivre le fil ténu qui  tente de relier chaques scènes dans le plan d’une vague intrigue.

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Ce récit est quand même brillament amorcé. Bancs publics se découpe principalement en trois temps, d’abord dans un bureau, ensuite dans un jardin public et enfin à l’intérieur d’un magasin de bric à brac. Dans sa première partie, au bureau, trois employées paressent jusqu’à ce que l’une d’elle remarque par la fenêtre une banderole étonnante affichée sous la fenêtre d’un appartement en face. « Homme seul ». Cette banderole devient le sujet de toutes les discussions et l’objet de toutes les spéculations. C’en est très drôle, d’autant que les comédiens sont tous formidables. Et ceux qui ont des rôles un peu plus conséquents que la moyenne des autres acteurs du films, arrivent légitimement à mieux se défendre et a susciter une certaine sympathie. Dans la première partie, la mention spéciale revient alors à Michel Vuillermoz, acteur qui est de toutes les manières toujours impeccable.

On se dit que le grand sujet du film est la solitude. On en parle beaucoup, selon différents registres, et ce système narratif de micros-saynètes qu’on empile tend à isoler chaque personnage. Est-ce là la véritable démarche de Bruno Podalydès ? Car Bancs publics finit vraiment par lasser, malgré quelques réguliers moments sympathiques et d’humour bien senti. Les dialogues sont savoureux, la mise en scène discrète mais soignée. Sauf qu’on adhère pas, on s’épuise et la conclusion est tellement prévisible qu’elle ne fait que renforcer le sentiment de déception.

Le sentiment est d’autant plus fort que Bancs Publics illustre tristement ce mal dans notre cinéma, de la sous-sous représentation des minorités. Le casting est à 95% blanc. Les rares exceptions sont Pascal Légitimus et Amira Casar, laquelle a la peau très blanche. Et sinon ? Les rôles de quasi-figurations des employés de l’entretiens sont dévolus à des acteurs noirs. On ne porte aucune accusation envers le cinéaste mais le constat est violent et tragique. On s’était déjà fait une remarque totalement identique à l’occasion de Musée Haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes, auquel on pense par ailleurs car ce film est lui aussi constitué exclusivement de saynètes (et les deux comédies ont – comme par hasard ? – une large partie du casting en commun). Heureusement pour Bruno Podalydès, le film de Ribes était particulièrement désastreux et ignoble. Il s’en démarque positivement et sans difficulté mais cette victoire là est petite. La déception prime.

Benoît Thevenin


Bancs publics (Versailles Rive Droite) **1/2

Sortie française le 8 juillet 2009

Lire aussi :

  1. Adieu Berthe ou l’Enterrement de mémé de Bruno Podalydès (2012)
  2. Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani (2010)
  3. Hadewijch de Bruno Dumont
  4. Ma Loute de Bruno Dumont (2016)
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Aucun commentaire sur “Bancs publics (Versailles Rive Droite) de Bruno Podalydès (2009)”

  1. ariane dit :

    Je suis tout à fait d’accord avec la critique : Bancs Publics est lassant, et le prétexte à déployer toute la clique actoriale française.
    Par contre là où j’émets un gros bémol, c’est par rapport au film d’Amanda Sthers : Je vais te manquer (et non pas Je te manquerai).
    Je suis relativement difficile à satisfaire quand il s’agit de films français et plus encore de films choraux. Et j’ai adoré je vais te manquer, même si le dénouement est sans doute à la limite du too much et de l’artificiel.
    Du coup, j’ai cherché la critique de Je vais te manquer sur Laterna Magica et je ne l’ai pas trouvée. Avant de parler d’un film en ces termes « terriblement navrant », il faudrait déjà l’avoir vu non ?
    J’émets tout de même le bémol du film vu avec le désir, pour une fois, de ne pas en faire la critique. C’est ce que j’ai fait récemment pour Sunshine Cleaning, histoire d’aller au cinéma comme une spectatrice tout à fait normale.
    Sinon, j’avoue beaucoup aimer ce site que je viens de découvrir.

  2. Benoît Thevenin dit :

    Merci Ariane pour ce message. Concernant le film d’Amanda Sthers – et je vais vite réctifier mon erreur pour le titre :-s – je l’ai bien vu et réellement trouvé navrant…
    Après, il est vrai que je n’ai en rien argumenté mon point de vue et je n’ai pas voulu perdre de temps à écrire sur ce film, surtout que descendre un film pour descendre un film, ca ne me plait guère.

    Je n’écris pas sur tous les films que je vois, déjà parce que ça me prendrai un temps incroyable et en plus parce que je n’ai pas forcément grand chose à dire.. Sunshine Cleaning d’ailleurs je l’ai aussi vu et n’ai pas écris dessus. J’ai bien aimé mais sans plus.

    A bientôt :)
    Benoît

  3. Anonyme dit :

    Personnellement, j’ai trouvé Bancs publics bien plus fin que Je vais te manquer, même si le film de Podalydes souffre du défaut principal des films-choraux, l’hétérogénéité du rythme, des performances d’acteurs et de l’intérêt porté aux différentes petites tranches de vie.

    Il faut remettre le film dans le contexte des deux autres volets de la trilogie versaillaise. Le personnage incarné par Denis Podalydes, même s’il s’agit à chaque fois d’un rôle différent, appartient à la catégorie du pauvre type incapable de réussir sa vie amoureuse, mais va enfin entrevoir une issue favorable à sa situation, bien que l’état du monde autour – stress professionnel, monde en crise ou en guerre, solitude urbaine, angoisses existentielles – n’incite pas forcément à l’optimisme.

    Après, concernant ta remarque sur les minorités, je te trouve un peu dur. Certes, ta croisade contre la sous-représentation des minorités ethniques est fort louable, mais à mon avis, le coin de Versailles où a été tourné le film est composé d’une population essentiellement blanche et assez bourgeoise. On a donc plus de probabilité d’y croiser une Catherine Deneuve qu’un Samir Guesmi, sauf en tant que « petit » employé d’un magasin…
    Même remarque pour Musée haut, musée bas. Tu fustiges l’absence des minorités dans le film, mais il faut bien admettre que le public fréquentant ces musées d’art moderne n’est pas très « coloré ». Attention, je ne dis pas que les minorités ethniques ne sont pas capable d’être sensibles à l’art et à la culture, loin de là. Mais les tarifs pratiqués, la localisation géographique des musées – Paris et banlieue chic – ne les rend pas facilement accessibles aux gens habitant les banlieues « défavorisées » où la population est déjà beaucoup plus mixte, voire majoritairement composée de personnes issues de l’immigration.

    Ajoutons que, dans le cas de Podalydes, les minorités se vengent des blancs bourgeois par l’intermédiaire de ce balayeur qui prend un malin plaisir à couler les petits bateaux voguant dans le bassin du square…

    P.S. : Dis donc Benoît, pour quelqu’un qui n’avait plus trop la motivation d’écrire avant Cannes, tu as repris du poil de la bête… 😉

  4. Benoît Thevenin dit :

    Je n’ai pas voulu mettre sur le même plan « Je vais te manquer » et « Bancs Publics ». En revanche, même s’il y a ds similitudes, je trouve que « Bancs publics » réponds très mal aux autres films Versaillais de Bruno Podalydès.

    La sous-représentation des minorités est une constante dans les films-choraux français, pas seulement Bancs Publics et Musée Haut, il n’y a qu’à voir les castings de Danielle Thomson.

    Mais de toutes les façons, je ne trouve pas que le fait que Versailles soit une ville bourgeoise est plutôt « peu colorée » ou, que les musées soit peut-être moins fréquentés par les groupes sociaux défavorisées soit une raison suffisante et/ou acceptable à cette explication. Ces films enfoncent les préjugés, les stigmatisent même de mon point de vue en ne confiant que des rôles de garçons ou femmes d’entretien à des acteurs arabes ou black, sans compter les asiatiques etc.

    Le cinéma américain fait preuve d’un volontarisme sur cette question qui traduit parfaitement le volontarisme de la politique américaine concernant l’intégration des « nouveaux venus ». C’est quelque chose qui fait partie de la tradition de ce pays en matière de politique intérieure, un héritage de la façon de dont s’est construit le pays.

    Il n’est pas question de se comparer à eux mais pourquoi le cinéma français, et peut-être même européen plus généralement, qui est tellement influencé par ce qui nous provient des Etats-Unis, n’arrive pas à faire accepter des modèles de représentations équivalent dans nos films.

    C’est une question d’état d’esprit général, de volonté, en tout cas ça ne traduit pas les idées de Podalydès ou des autres, mais un climat social ou tout est encore trop segmenté et c’est à mon avis un désastre.
    J’aimerais plus de courage et de constance pour reflèter ce qui existe dans la société : le métissage, et ne plus trouver exceptionnel au cinéma que Romain Duris embrasse Aissa Maïga.

    A contrario, je n’aimerais pas qu’un film force ces thématiques là et qu’on nous fasse quelque chose comme « Collision » de Paul Haggis, dont l’extrême démagogie m’insupporte au plus haut point.

    En tout cas, voila pourquoi le succès d’un film limite blacksploitation comme « La première étoile » me fait tant plaisir.

    Concernant le personnage du balayeur (tiens donc) qui « se venge », je ne le vois même pas comme ça, pas tout à fait en tout cas, mais plutôt comme l’emmerdeur qui vient perturber la quiétude des bourgeois, celui qui gâche tout etc.

    PS : Cannes m’a reboosté en effet :). Par contre, je ne peux pas personnaliser ce message, je ne sais pas à qui je m’adresse hé hé 😉

  5. Axel dit :

    Alors je n’ai pas vu « Musée haut… », mais j’ai vu « Bancs Publics » Et je me demande toujours quel est l’intérêt d’inviter autant d’acteurs connus, juste pour une apparition. Comme tu le dis, ceux qui réussissent à tirer leur épingle du jeu sont ceux qui ont un rôle plus développé et qui, au grand hasard, ne sont pas les plus célèbres, pour lesquels on ne se dit pas : « Oh mais c’est le gars des Inconnus, oh mais c’est le gars des Bronzés… », surtout que pour la plupart, ils n’apportent rien et ne sont même pas drôles (Lhermitte, Solo, Arditi qui fait des caisses… même le chien de Poelvoorde est meilleur qu’eux !) Aurions-nous le même film, l’apprécierions d’une autre manière si ces stars du cinéma français n’étaient pas présentes ? Un film choral comme « Riens du tout » fonctionne justement parce qu’à l’époque les Luchini, Viard, Darroussin… n’était pas des plus connus, en tout cas par le grand public, d’où identification, etc.

  6. Benoît Thevenin dit :

    Très juste Axel ;). Ca me fait penser, dans un registre qui n’a rien à voir, au film de Paul Greengrass « Vol 93″. Je pense que le film marche d’abord parce que le casting est composé exclusivement d’inconnus.

    « Riens du tout », c’était très charmant !

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