Le Journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel (1964)

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Le Journal d’une femme de chambre marque le début d’une collaboration fructueuse entre Luis Buñuel et un jeune scénariste français, Jean-Claude Carrière. Le film, tourné en France et en français, est une adaptation du roman éponyme d’Octave Mirbeau. Buñuel en respecte la trame mais déplace l’action aux années 30, soit l’occasion pour lui de régler ses comptes avec l’extrême-droite qui lui causa tant de troubles lors de ses mêmes années, L’Action Française se substituant ici au régime fasciste de Franco.

Le journal d'une femme de chambre

Célestine (Jeanne Moreau), jeune et jolie fille en provenance de Paris, débarque en Normandie afin d’officier en tant que femme de chambre dans une maison bourgeoise. Dans la première moitié du film, Buñuel dénonce point par point les moeurs de la bourgeoisie provinciale, l’antisémitisme, le patriotisme et les perversions sexuelles des divers individus qui peuplent la maison. Le patriarche est un fétichiste des bottines, sa fille est une femme froide effrayé par la chose érotique, son mari est sexuellement frustré et le garde-chasse, un homme rustre qui déblatère des propos racistes, révèle une certaine attirance pour la jeune enfant recueillis dans la maison… Célestine côtoie ce petit monde avec une certaine distance, se préservant de la convoitise qu’elle suscite chez les hommes mais selon une attitude toujours dilettante et ambigüe.

journal d'un femme de chambre

Le récit bascule avec le viol et le meurtre de l’enfant par le garde-chasse, que Buñuel filme de manière détournée en recourant à une symbolique aisément évocatrice (un sanglier qui pourchasse un lapin, puis le sifflement d’un train pour suggérer le cri d’effroi de la découverte du corps). Célestine révèle à partir de la un comportement troublant ou elle semble à la fois attirée par le caractère monstrueux de celui dont elle a deviné qu’il est l’assassin mais qui en même temps parait jouer un jeu machiavélique pour le confondre et lui faire avouer son crime.

Le journal d'une femme de chambre

Le meurtre de l’enfant a beau être le crime le plus abominable qui soit, Buñuel ne lui accorde pas une importance déterminante. Ce qui intéresse d’abord Buñuel, c’est le portrait social de cette bourgeoise dont il pointe le moindre défaut, s’en moque – le film est parfois délicieusement drôle, notamment dans la scène de confession de la maîtresse de maison au curé, joué par Carrière lui-même –  et dont il dénonce la barbarie et les perversions morales et sexuelles. Il fustige également l’Eglise à travers le personnage du sacristain pour autant de thèmes récurrents de son oeuvre. Le film est délicatement mené, avec toujours assez de distance et d’ironie par rapport aux évènements montrés ou aux discours prononcés. Le choix de Jeanne Moreau, pour un de ses meilleurs rôles, et des plus judicieux, qui par son naturel et son jeu quelque peu évanescent, intervient directement sur la perception trouble et malsaine de cette bourgeoisie.

Benoît Thevenin


Le Journal d’une femme de chambre – Note pour ce film :

Sortie française le 4 mars 1964

Lire aussi :

  1. Los Olvidados (aka Pitié pour eux) de Luis Buñuel (1951)
  2. Un été sans eau (Susuz yaz) de Metin Erksan (1964)
  3. Journal de France de Claudine Nougaret et Raymond Depardon (2012)
  4. Une Femme coréenne (Baramnan gajok) de Im Sang-soo (2005)
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Un commentaire sur “Le Journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel (1964)”

  1. Xavier Sans Ezquerra dit :

    Sobre « Diario de una camarera »: La perversión de los cuentos de hadas es un tema muy atractivo para una película. Celestine es una Cenicienta zorrona, el viejo fetichista es como el sombrerero loco de Alicia en el país de las maravillas, la niña pobre es Caperucita y el criado fascista es el lobo.
    Un puntazo la manifestación de la ultraderecha del final.
    Mucho mejor que la versión de Jean Renoir que se cae de ñoña.

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