Limbunan de Gutierrez Mangansakan (2010)


Depuis quelques années, le cinéma philippin investit les festivals du monde entier et, s’il reste encore loin des salles traditionnelles, réussit à se faire remarquer. Son principal chef de fil, Brillante Mendoza, est devenu à mesure de ses sélections officielles en compétition à Cannes, un des auteurs contemporains les plus intéressants. Il y a d’ailleurs fort à parier que l’on retrouvera Mendoza sur la Croisette en mai prochain avec Captured, dans lequel on retrouvera Isabelle Huppert. Mais, le cinéma philippin ne se résume pas à Brillante Mendoza, ni à Auraeus Solito dont on avait pu découvrir L’Eveil de Maximo Oliveiros dans les salles françaises.

Si le cinéma philippin est actuellement en vogue, c’est d’abord par l’action de Cinemalaya, à la fois un festival de cinéma indépendant aux Philippines mais aussi une fondation qui fait énormément pour la promotion et l’essor du jeune cinéma d’auteur local. Auraeus Solito est d’ailleurs, sans doute, le plus éminent des cinéastes à avoir émergé grâce à Cinemalaya depuis 2005, année de la création du festival. Ce n’est donc pas un hasard si régulièrement le cinéma philippin se fait une place aux soleils des festivals occidentaux.

Limbunan est issue de la promotion 2010 de Cinemalaya. Il s’agit du premier long-métrage de Gutierrez Mangansakan, réalisateur jusqu’alors rompu aux documentaires. Mais s’ils sont nombreux les films philippins à nous immerger, caméra au poing, dans les rues de Manille, Limbunan est à l’opposé de ce préjugé là. On est là loin des bidonvilles de la capitale, du brouhaha de ville telle qu’il est ressenti via les films de Mendoza etc. Le cadre de Limbunan, c’est plutôt cet havre de paix, au milieu de la jungle d’une des îles de l’archipel, dans lequel vit une famille où les femmes sont majoritaires.

Limbunan raconte les préparatifs du mariage de l’ainée de la famille. Elle est promise à un homme qu’elle n’aime pas alors même qu’elle a noué une relation autrement plus sincère avec un garçon de son âge. L’histoire est principalement vue du point de vue de la soeur cadette, encore très jeune, mais qui affirme déjà ses désirs d’émancipation face à la tradition.

Le thème n’est en soi pas passionnant, plus tellement du moins tant il a nourrit des milliers de livres et de films du monde entier depuis des siècles (pour la littérature) et des décennies. La problématique morale induite immédiatement par la situation de la promise prouve – une fois de plus – l’universalité du dilemme, mais aussi l’universalité des sentiments éprouvés et réprouvés qui en découle, et sa persistance dans de nombreuses régions du monde.

On n’est cependant pas là dans le registre d’une grande intrigue passionnelle et torturée. Limbunan est au contraire un film simple et calme, apaisant même, ou les tensions sont étouffées et contenues. Trois générations de femmes confrontent leurs regards sur le mariage, par l’expérience des unes, par les aspirations des autres. Ayesah, la promise, est comme la dernière victime d’une tradition brutale pour les femmes, mais acceptée et digérée par les ainées (mère et tante).

Ayesah est peut-être la dernière à subir cette tyrannie car sa jeune soeur n’entend pas du tout se laisser faire. Elle est encore trop jeune pour rentrer en révolte mais, loin de la maison, la radio laisse entendre ou deviner le vent d’un changement qui s’amorce au sein des Philippines. C’est peut-être là l’indice de son indépendance à elle, jeune fille pas encore corrompue par la loi des anciens.

Une toile de fond politique s’inscrit en effet dans le champs de l’intrigue. Le pays se relève de la dictature de Ferdinand Marcos et la démocratie se met en place. L’armée semble en position d’attente et on entend à la radio le serment solennel de Corazon Aquino, celle qui vient de gagner le pouvoir démocratiquement. L’action se déroule donc en 1986 (1989 selon les résumés officiels). L’histoire des Philippines sera encore très contrariée après cette élection, certes, mais que ce moment d’espoir démocratique soit agité en background de l’histoire induit sans doute quand même la réalisation de quelques espoirs, pour la cadette surtout.

Tout cette contextualisation là est cependant évanescente dans le film. Limbunan s’avère subtile dans ses différents propos, comme dans son empreinte émotionnelle ou dans sa forme. Une forme qu’il est important de louer car la mise en scène de Gutierrez Mangansakan est admirable pour sa composition des plans, son travail sur la lumière, l’ambiance qu’il réussit à installer. Un beau film, simple mais éloquent, qui nous suffit pour croire en son réalisateur.

Benoît Thevenin


Limbunan – Note pour ce film :
Année de production : 2010


Lire aussi :

  1. Ha Ha Ha de Hong Sang-soo (2010)
  2. Addicted to love (Lao Na) de Liu Hao (2010)
  3. The Housemaid de Im Sang-soo (2010)
  4. Somewhere de Sofia Coppola (2010)
Email

Un commentaire sur “Limbunan de Gutierrez Mangansakan (2010)”

  1. BuencaRmino dit :

    Merci pour ce bel hommage à un film subtil, effectivement aux antipodes de l’univers chaotique de Brilante Mendoza. Il ne me semble pas toutefois qu’il y ait à choisir entre les deux : ce sont deux visions d’un même pays, riche de sa diversité comme on dit dans les brochures touristiques, ou, pour être plus juste, tiraillé entre une tradition parfois étouffante et une modernité qui n’est pas moins brutale.

    Buencarmino

Laisser une réponse