Turn me on (Få meg på, for faen) de Jannicke Systad Jacobsen (2011)

Dans un petit village de Norvège très à l’écart de la ville, la jeune Alma vit une adolescence normale, entre sa mère qui l’élève seule à la maison, et ses amies au lycéen avec qui les relations sont ambivalentes. Alma a ses petits secrets qui font son originalité, usant  du téléphone rose pour partir à l’assaut de ses fantasmes. Elle rêve aussi secrètement d’un garçon de son âge. Lors d’une boom, un évènement se passe qui va bouleverser sa vie.

Portrait doux-amer d’une adolescente très attachante en quête de repère et en quête d’elle même, Turn me on est le premier long-métrage de la jeune cinéaste norvégienne Jannicke Systad Jacobsen. Le film est souvent drôle, car le personnage de Alma est en complet décalage avec la norme sociale qu’on voudrait lui imposer. L’humour est donc là pour relativiser ce qui est vécu par Alma comme une souffrance. Elle est mise à l’index, moquée, décrédibilisée et imagine sa situation comme rédhibitoire. Mouton noir de ses camarades d’école, cas désespéré pour une mère qui ne sait trop comment agir avec elle, Alma est touchante autant parce qu’elle cherche à affirmer son caractère, que parce qu’elle est rêveuse,  maladroite et quelque peu complexée.

Le film entier correspond au personnage même d’Alma : joli, fragile et terriblement attachant. Turn me on est aussi un film qui, s’il s’inscrit un peu dans le registre des comédies adolescentes, s’écarte des modèles auxquels ont peut penser spontanément. D’American Pie aux Beaux gosses, le dénominateur commun est généralement le fait que les héros sont de jeunes hommes. La petite originalité de Turn me on est là aussi, qui s’intéresse à l’éveil sexuel d’une jeune fille, avec candeur et prudence, mais sur un mode quand même cru : un sexe est montré en gros plan, il y a de la nudité et des scènes très intimes. Pour autant, il n’y a là nulle obscénité ou une quelconque forme de racolage, mais plutôt l’impression d’aller dans le sens juste des choses, avec sensibilité et justesse.

Par la fantaisie de son héroïne et ses petits voyages oniriques, Turn me on échappe aussi à la gravité qui imprègne souvent les films qui prennent pour sujet la sexualité des jeunes filles. On pense à des films comme Fucking Amal ou Naissance des pieuvres par exemple, de très bons et beaux films, mais qui dégagent une impression et des perspectives très différentes. Turn me on est finalement moins un film sur le trouble des premiers émois adolescents que le portrait d’une jeune fille qui se construit et trouve la voix de son émancipation.

Benoît Thevenin


Interview avec la réalisatrice Jannicke Systad Jacobsen


Laterna Magica : Votre film est adapté d’un roman (d’Olaug Nilssen ). Qu’est ce qui vous a donné envie de mettre en scène cette histoire ?

Jannicke Systad Jacobsen : Déjà, bien sûr, j’ai beaucoup aimé l’histoire, le sens de l’humour, la description faite de la vie de tous les jours. C’est une petite histoire mais qui prend des proportions considérables pour les personnages. Et puis surtout, ce que j’ai aimé dans le livre, c’est le mélange entre réalité et fantasmes. Il y a beaucoup de films qui traitent de sujet graves, comme quelqu’un qui meurt d’un cancer, ce genre d’évènement très dramatique. Cependant, je crois que dans la vie de tous les jours, ce sont souvent des petites choses qui créent des drames et affectent la vie des personnes.

Rares sont les films qui ont comme thème principal la sexualité des jeunes filles, et encore plus ceux réalisés sur le ton de la comédie. Etait-ce une volonté consciente de faire un film à contre-courant des comédies adolescentes qu’on a l’habitude de voir ?

C’est quelque chose dont j’avais envie, un film à la fois sérieux, voir dramatique, mais avec de l’humour comme soupape de décompression. C’est une histoire qui est pleine de souffrance mais qui est vécue par l’héroïne selon les deux aspects, la douleur et la légèreté.
Je voulais que les spectateurs soient en empathie avec le personnage d’Alma, mais aussi avec celui de la mère, que l’on puisse ressentir leurs différentes émotions.

Helene Bergsholm, la jeune comédienne qui joue le personnage d’Alma, est particulièrement attachante dans le film et une belle révélation. Comment l’avez-vous choisie ?

Pour le personnage d’Alma je voulais quelqu’un d’à la fois normale et douce, gentille mais qui est aussi un peu marginale, qui n’a pas un réel savoir être avec les autres. Je voulais que lorsqu’on la voit dans cour du lycéen, elle ne soit ni la reine de beauté la plus en vue, ni la fille la plus moche avec des boutons, un coupe punk etc. J’ai trouvé chez Helene ces qualités. Elle est  douce et a ce punch, cette force en elle qui s’affirme et peut exploser. Il fallait tout ça pour que le spectateur puissent accepter tous les trucs bizarres qu’elle finit par faire, que l’on puisse se reconnaitre en elle.

Vous avez casté beaucoup de comédiennes ?

Nous avons vu 450 adolescents pour les différents rôles, garçons et filles, mais 75% de filles, à la fois pour le personnage d’Alma, mais aussi pour les autres rôles. Ce n’est pas un très grand nombre en comparaison avec les castings hollywoodiens qui attitrent des milliers de personnes, mais si on se rapporte à la région ou nous avons tourné le film et où vivent 10 000 habitants, 450 ados réunis, ils n’avaient jamais vu ça !

Le film parle assez crument de sexe. Y’a t’il des scènes qui ont été délicates à tourner, notamment pour les jeunes comédiennes ?

Ce n’était pas difficile mais parfois un peu gênant. Pour Alma, c’était plus facile dans les scène qu’elle partage avec un autre acteur, mais plus difficile lorsqu’elle est toute seule avec le téléphone face à la caméra. Il lui était difficile d’être naturelle et relâchée. Pour palier à ça, on a préparé les scènes en amont, on les a chorégraphié. C’était important pour  Helene, pour rester concentrée et dans son personnage.
Cela dit la scène qui a été la plus difficile à tourner, c’est  celle à l’intérieur du bus. Il y a beaucoup de personnages qui font beaucoup de choses en même temps. Dans le scénario, la scène était plus longue. Ce qui était difficile, c’était de capter tous ce qu’il se passait, les regards etc., d’arriver à synchroniser tout cela. Les comédiens sont tous amateurs et il fallait beaucoup leur parler, leur donner des indications. Plus il y a de non-professionnels dans une même scène, plus il y a de travail. A l’inverse, les scènes entre Alma et sa mère étaient beaucoup plus simples  à diriger, parce que plus à l’aise face à une comédienne professionnelle. Dans l’intéraction avec des acteurs professionnels, les amateurs sont plus créatifs.

Il y a un côté intemporel dans ce film. L’action pourrait très bien se dérouler il y a 10 -20 ans ou bien aujourd’hui. Est-ce que vous avez voulu faire en sorte qu’on ne lie pas cette histoire à une époque précise ?

Cela tient à deux choses. Déjà, parce que les petits villages en Norvège sont un petit peu en retard, ils n’ont pas forcément les derniers gadgets technologiques qui permettent de marquer l’histoire dans un contexte très actuel. Aussi, cela vient du fait que c’est une histoire qui est racontée rétrospectivement. Le récit est celui d’une époque qui est passée. Avec la voix-off, il y a une double temporalité.

Pour vous est-ce un film libertaire, dans le sens où il s’agit autant de l’éveil sexuel d’une jeune fille et son passage à l’age adulte, que la fuite du conservatisme ambiant au sein du village ?

Oui mais… (elle hésite beaucoup avant de répondre). Mon message est que chacun doit pouvoir être ce qu’il veut sans subir la pression des gens autour, qui peuvent essayer de vous couler dans un moule etc. C’est d’autant plus difficile dans un petit village ou tout le monde se connait. Je crois, mais ce n’est pas certain, qu’il est plus facile de trouver qui l’on est quand on habite une grande ville, parce qu’on peut choisir ses amis, aller vers un groupe qui nous ressemble. Dans un petit village on subit davantage la pression d’un groupe unique, la communautée, qui presse pour que tout le monde se conforme à un modèle. Dans une grande ville, on a davantage le choix de refuser ça et d’aller vers un autre groupe. Et puis l’adolescence est sans doute la période de la vie ou le fait de se sentir différent est le plus difficile à vivre.

Il y a de plus en plus de films norvégiens qui sortent en France (1) au cinéma. Vu d’ici, on pourrait penser qu’il y a un nouvel élan, une nouvelle génération. Est-ce vraiment le cas selon vous ?

Je ne sais pas… Oui, quelque chose se passe. Ca pourrait être mieux mais en tout cas le volume de production en Norvège augmente, et le niveau des cinéastes et des techniciens progresse en même temps. J’aimerais que l’on produise plus de films qui ont une vraie valeur cinématographiquement parlant, parce que dans toute cette production, il y a beaucoup de films de genres et des thrillers qui copient le modèle hollywoodien. Je ne suis pas sûre que ce soit les bons films qui vous parviennent. En tout cas, la Norvège ne produit pas tant que ça de films intéressants, mais ceux qui le sont, sont plus intéressants que ce qui se faisait de mieux il y a quelques années.

Interview réalisée à Paris le 13 janvier 2012 par Benoît Thevenin.

(1) Quelques films norvégiens sortis dans les salles françaises ses dernières années : Nouvelle donne de Joachim Trier (2006), Norway of life de Jens Lien (2006), L’Art de la pensée négative de Bard Breien (2008), La Nouvelle vie de Monsieur Horten de Bent Hamer (2008), Un chic type de Hans Peter Moland (2010), Home for Christmas de Bent Hamer (2010), Happy, Happy de Anne Sewitsky (2011), Les Révoltés de l’ïle du Diable de Marius Holst (2011) +  Oslo, 31 Août de Joachim Trier (sortie le 29/02/2012) etc.


Turn me on ***1/2

Sortie française le 18 janvier 2012


Lire aussi :

  1. Footnote (Hearat Shulayim) de Joseph Cedar (2011)
  2. Sauna on moon (Chang e) de Zou Peng (2011)
  3. Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche (2011)
  4. Himizu de Sono Sion (2011)
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