Naissance des pieuvres de Céline Sciamma (2007)

Ancienne élève de la Femis, Céline Sciamma a vu son premier long-métrage être sélectionné dans la section Un Certain Regard à Cannes en 2006. Une juste attention offerte à cette jeune réalisatrice qui, effectivement, se distingue immédiatement par la singularité de son regard. Naissance des pieuvres est un petit film fragile sur la fin de l’enfance. Jusque là rien de foncièrement original, pas plus si l’on révèle que ce deuil est envisagé par le prisme des premiers désirs sexuels adolescents. Ce qui fait la différence est bien dans la façon qu’à Céline Sciamma d’explorer cette question, de scruter le comportement de ses personnages.

Le milieu autour duquel le film tourne, une équipe de natation synchronisée, n’est déjà pas vraiment anodin. La piscine et le dédale de ses couloirs, de ses vestiaires, est un merveilleux lieu pour laisser déployer les allégories étranges et troublantes de l’éveil sexuel. Dans l’eau, se succède deux camps, avec chacun leur chef, ou plutôt leur capitaine. Il y a les filles de l’équipe de natation synchronisée et les garçons de l’équipe de water-polo. Les filles dessinent des figures mouvantes dans l’eau trouble, les garçons se laissent aller à des rituels quasi tribaux et qui constituent d’une certaine manière le socle de cohésion d’une équipe sportive.

Marie (Pauline Acquart) est une adolescente frêle et timide qui regarde avec fascination le spectacle de l’équipe de natation synchronisée en train de parader. Anne (Louise Blachère), la meilleure amie de Marie, est complexée par son physique et se sent dans un premier temps humiliée quand un garçon la surprend nue dans les vestiaires. Enfin, il y a Floriane (Adèle Haenel), la « reine » de l’équipe de synchro, celle qui est l’objet de toutes les attentions, toutes les convoitises et tous les commentaires. Elle dégage une maturité, une assurance, et un éclat qui dissimulent peut-être, en fait, les même doutes que les autres jeunes filles autour d’elle.

Marie ne se considère pas normale, et on lui dira qu’il n’y a rien de mal à ça, que ça n’existe pas. Une tension existe, incertaine, ou l’on voit Marie éprise de fascination pour Floriane. Elles vont lier connaissance et devenir amies, même si Floriane semble profiter de la fragilité de Marie et parait jouer avec elle. Un temps seulement, car Marie est la seule à gagner la confiance de la belle, laquelle parce qu’elle attire tout vers elle, se sent finalement très seule et perdue.

Là ou Céline Sciamma excelle, c’est dans les rapports ambigus qu’elle développe entre les personnages. Les trois jeunes filles partagent une même crainte, celle du désir sexuel qui naît et dont il est urgent autant qu’effrayant, pour des raisons propres à chacune, de se débarrasser. La sexualité est envisagée par ces jeunes filles d’une manière complètement désenchantée, comme quelque chose d’encombrant et terriblement lourd à porter. Floriane regrette le temps de son innocence, dans lequel Marie semble encore être alors qu’elle est surtout en train de basculer à son tour.

Comme les chorégraphies de l’équipe féminine dans l’eau, rien n’est stable et tout est changeant, évolue et se transforme. Il y a un décalage entre ce que les filles vivent intimement et l’image qu’elles projettent, du moins pour ce qui concerne Anne et Floriane qu’a priori rien ne rapproche alors qu’elles sont sans le savoir des rivales dans un combat qu’on pourrait croire inégal. Marie est au centre des deux, dans une position encore plus renfrognée. On la voit timide, mais on la voit surtout contenir ses pulsions. Tout se joue dans les non dits et l’expression des visages en dit parfois beaucoup plus que les mots qui sont si difficilement prononcés. Les filles sont livrées à elle-même. On note une relative absence des parents et de tous référents adultes. Leurs émois, elles se débrouillent seule pour les régler, d’où aussi leurs tâtonnements et leurs hésitations.

Avec beaucoup d’intelligence et de subtilité, Céline Sciamma réussit un très joli film, au charme ambigu, à l’ambiance parfois à la lisière du fantastique et bien aidé en cela par l’excellente BO, calme et mystérieuse, de Para One (aka Jean-Baptiste de Laubier et ancien de la Femis lui aussi). La cinéaste signera plus tard son second long-métrage, Tomboy (2011), dans lequel elle continue de s’intéresser aux mutations adolescentes, à l’identité sexuelle qui commence à s’affirmer chez l’enfant en train de grandir.

Benoît Thevenin

Naissance des pieuvres ****

Sortie française le 15 août 2007

Lire aussi :

  1. Tomboy de Céline Sciamma (2011)
  2. Blank City de Céline Danhier (2010)
  3. Boulevard de la mort (Deathproof) de Quentin Tarantino (2007)
  4. Tout est pardonné de Mia Hansen-Love (2007)
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2 commentaires sur “Naissance des pieuvres de Céline Sciamma (2007)”

  1. Francois dit :

    Je me disais bien que ce titre me rappelait quelque chose, cf la BO de Para One :p
    Je la réécouterai pour la peine et serait curieux de voir ce film.

  2. Francois dit :

    3 ans après, c’est fait. Il aura fallut que « Les combattants » sorte, et la prestation d’ Adèle Haenel pour me décider :)
    Je suis assez d’accord avec ton analyse qui retranscrit bien l’histoire, bravo !

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