A bord du Darjeeling Limited (The Darjeeling Limited) de Wes Anderson (2008)

De tous les films sur le deuil actuellement à l’affiche, The Darjeeling Limited est sans doute le plus subtil. Wes Anderson, catalogué rapidement comme un cinéaste pop talentueux et élitiste, se révèle un peu plus comme l’artiste important qu’il est. The Darjeeling limited est encore un peu plus profond que ses autres films et pourtant, Anderson n’a rien cédé de l’acuité de son regard, de cette fantaisie qu’il sait doser à merveille.

The Darjeeling Limited est un film en deux parties ; dès lors que l’on considère le court-métrage Hotel Chevalier que les distributeurs français du film ont eu l’intelligence de programmer en avant-programme du long-métrage. Dans une chambre d’hôtel à Paris un personnage (Jason Schwartzman) tourne en rond et traîne son spleen au rythme de la magnifique et bouleversante chanson de Peter Sarstedt, Where do you go to, My Lovely. Cette ballade est emblématique du style de Wes Anderson : une apparente légèreté qui cache mal des sentiments bien plus profonds et douloureux. Les personnages de Wes Anderson ont des bleus : à l’âme autant qu’aux corps (Natalie Portman dans Hotel Chevalier et Owen Wilson dans the Darjeeling Limited).

On retrouve Jack (J. Schwartzman) sur le quai d’un train après duquel il court pour ne pas le manquer. Première cocasserie avec l’apparition clin d’oeil de Bill Murray, figure récurrente de tous les films du cinéaste. On notera justement la grande fidélité de quelques acteurs du film envers son auteur : Schwartzman était déjà le héros de Rushmore (premier long d’Anderson) tandis qu’Owen Wilson et Angelica Huston font partie de cet univers depuis la Famille Tenenbaum. Mais il y a un nouveau venu et non des moindres. Adrien Brody campe l’un des trois frères héros de cette histoire, avec Schwartzman et Wilson donc.

Lorsqu’il monte dans le train (le Darjeeling Limited), Jack traîne avec lui quelques énormes valises. Elles ont une fonction très symboliques dans le récit tant ce qu’elles contiennent est porteur de sens. Les valises sont remplies d’objet qui ont appartenus au père des trois frères. Le train traversera lentement le Rajahstan pour rejoindre leur mère, laquelle les a depuis longtemps abandonnés.

Les trois frères, Jack, Francis et Peter sont trois éclopés de la vie, trois inadaptés sociaux. Les liens familiaux sont complètement distendus comme le démontre clairement, justement, la distance géographique qui sépare les vies des uns à celle de leur mère. Leurs vies sont boiteuse et ils tendent à reproduire les modèles qui les ont tant perturbés, dans leurs propres expériences actuelles de couple.

Comme le vaisseau de La Vie Aquatique, le train du Darjeeling Limited est le théâtre d’une réconciliation difficile. Wes Anderson raconte cette douloureuse histoire avec la légèreté qui le caractérise depuis ses débuts. Car il ne faut pas s’y tromper, The Darjeeling Limited est une comédie et elle est si bien réussie que l’on rit beaucoup. C’est un rire amer, un peu pince sans rire, quoique les situations auxquelles nous sommes conviés sont systématiquement d’une loufoquerie irrésistible. On rit également beaucoup par la grâce de dialogues particulièrement justes et efficaces.

The Darjeeling Limited est un film profondément sensible et attachant. Le dépaysement des films de Wes Anderson est toujours garanti et là, on ne risque pas de passer à côté, ne serais-ce qu’à cause du contexte exotique de ce train par comme les autres. Wes Anderson, à travers ce train, convoque Satyajit Ray, grande figure du cinéma bengali et mondial, comme il convoque aussi le Tigre du Bengale de Fritz Lang, ou encore le Narcisse Noir de Michael Powell.

Le Darjeeling Limited est un film à même de séduire tous les publics : à la fois cinéphile, populaire, et d’une esthétique aussi plaisante que minutieuse. Le travail de mise en scène de Wes Anderson est celui d’un métronome. On l’avait déjà noté, en particulier avec La Vie Aquatique, et ce style commence maintenant à être reconnu comme une vraie patte. Formellement, Wes Anderson accorde une importance capitale au caractère géométrique de son espace, lequel est aussi systématiquement découpé symétriquement. En découle une impression de décalage constant qui colle parfaitement aux tourments intérieurs des personnages. Cette mise en scène basée sur l’équilibre induit en effet du sens au moindre décalage. Le positionnement des personnages dans le cadre est à cet égard essentiel.

The Darjeeling Limited est peut-être le meilleur film de Wes Anderson à ce jour. Il n’est pas si différent, dans la forme et dans l’esprit, aux autres films du réalisateur mais ce qui fait justement la différence c’est la qualité de l’émotion qui, très subtilement, vient affecter le spectateur. Vous ressortirez heureux et soulagé de ce beau voyage, à la fois poétique, sensible et chaleureux. Voila un film rare et précieux, plein de couleurs et plein d’un optimiste teinté des nuances de la vie.

Benoît Thevenin


The Darjeeling Limited – Note pour ce film :
Année de production : 2006


Lire aussi :

  1. There will be blood de Paul Thomas Anderson (2008)
  2. Moonrise Kingdom de Wes Anderson (2012)
  3. La Vie Aquatique (The Life aquatic) de Wes Anderson (2005)
  4. Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson (2010)
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