Pas de printemps pour Marnie (Marnie) d’Alfred Hitchcock

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Réalisé en 1964, Pas de printemps pour Marnie est l’un des derniers films d’Alfred Hitchcock, une de ses plus franches réussites, un pur chef d’œuvre, à la fois audacieux pour l’époque et emblématique de l’œuvre hitchcockienne dans son ensemble.

Dès les premiers plans, le regard fétichiste d’Hitchcock semble dominer. Autant par l’image, le choix des cadres, que par les mots prononcés par les personnages.

Ainsi, Marnie est filmée dès les premières minutes de dos, le regard (de la caméra) figé sur sa démarche et ses jambes à demie nues. Les héroïnes hitchcockiennes ont cette caractéristique d’être vêtue quasiment systématiquement d’une robe tombant sur les genoux et laissant apparaître le bas des jambes nus.

Il y a aussi ses plans rapprochés sur les pieds nus de l’héroïne. Ce genre de plans est récurrent dans l’œuvre du maître. Ils foisonnent aussi dans ce film. Il y a alors cette scène ou Marnie cherche à faire tomber la clé d’un coffre dans un égout. La clé reste coincée par les barreaux. Marnie pousse donc la clé avec son pied à moitié nu. On peut aussi citer ces scènes ou Marnie se déchausse pour dissimuler sa présence à une femme de ménage. Elle se déchausse aussi avant de monter à cheval. De fait, ces séquences servent presque d’alibi à la fascination évidente d’Hitchcock pour les jambes des femmes. Tous ces plans paraissent à priori anodins mais ils marquent clairement l’amour que le cinéaste porte à la féminité.

Et puis il y a cette scène absolument essentielle du viol, lorsque l’épouse se refuse au mari par dégoût pour les hommes. Là encore, Hitchcock filme en plan serré les jambes nues de son actrice.

Hitchcock et Truffaut était très proches et partageaient une idée du cinéma en même temps qu’un certain amour fétiche. Le fait même que le personnage de Bertrand Morane dans L’Homme qui aimait les femmes soit lui-même en admiration devant, en particulier, les jambes des femmes n’est pas un hasard. Bertrand Morane est François Truffaut mais aussi Alfred Hitchcock…

Dans Pas de printemps pour Marnie, une scène au début sert à présenter le personnage de Marnie. A travers ce dialogue, nous apprenons les premiers détails concernant la personnalité de ce personnage féminin énigmatique qui hante par sa présence les premières minutes. Et ce portrait fait va complètement dans le sens de ce qui vient d’être dit. « La brune avec de jolies jambes ? (…) couvrant ses genoux avec sa jupe comme s’ils étaient des pièces de musée ».

A cet instant du film – nous sommes dans les cinq premières minutes – nous n’en savons pas plus sur cette femme.

Le film ouvre par un gros plan sur un sac à main. Une femme s’éloigne, le pas pressé. Elle semble être sur le quai d’une gare. Evidemment, cette mise en scène sous-entend clairement le contenu suspect du sac. La séquence suivante –celle du dialogue cité – fait référence à un vol commis par une secrétaire discrète. Le spectateur fait sans doute le lien… Dans les scènes suivantes, Hitchcock continue de filmer son héroïne de dos, marchant rapidement, comme en fuite. L’accent est toujours mis sur le bas de ses jambes. Nous la voyons entrer dans une chambre d’hôtel puis, le plan suivant, de dos (toujours) et en nuisette, l’héroïne fait ses valises. La scène inévitablement penser à Psychose et Marion Crane lorsque, juste après avoir commis elle aussi un vol, se déshabille comme pour se débarrasser de son pécher…

Retour à Marnie. L’héroïne ouvre son portefeuille. Sa carte d’assurance indique qu’elle s’appelle…    Marion… Mais elle en change et choisit parmi plusieurs autres. Chaque carte indique une identité différente. Cette femme semble donc ne pas avoir d’identité. Elle s’apelle tantôt Marion, Margaret, Mary etc…

L’impression est confirmée le plan suivant. L’héroïne, toujours de dos, se lave les cheveux. La couleur de ses cheveux coule dans le lavabo. A cet instant seulement, lorsqu’elle relève la tête et que sa chevelure est devenue blonde, Hitchcock montre enfin son visage. Elle est redevenue un peu d’elle-même. A noter cette duplicité blonde/brune et qui rappelle Sueurs froides.

Lorsqu’elle quitte la chambre, ce personnage est filmé en plan serré. Elle porte des deux grosses valises. Ses jambes sont centrales dans la composition de ce plan…

Plus tard, l’héroïne retrouve sa mère. On apprend qu’elle se prénomme en fait Marnie. On lui découvre aussi certains troubles psychologiques : une phobie par rapport à la couleur rouge, une peur panique de  l’orage, des nuits cauchemardesques… La relation avec sa mère est plutôt tendue. Un secret de famille semble chapeauter cette relation. En filigrane est aussi sous-entendue l’homosexualité de la mère (elle à demandé à une amie dont elle garde l’enfant de venir vivre avec elle…). Sa relative bienveillance teintée d’une toute aussi relative sévérité n’est pas sans rappeler, d’ailleurs, la psychologie de Miss Danvers, et l’ambiguïté autour de sa sexualité, dans Rebecca.

De psychologie, il en est beaucoup question dans Pas de printemps pour Marnie. Elle est même le point central du film. Le film trouve ainsi tout son intérêt dans la relation trouble et quasi pathologique entre Marnie  et le personnage joué par Sean Connery.

De leur relation émane aussi une certaine sensualité, comme en témoigne ce premier baiser  ou Sean Connery parcoure doucement, tendrement, le visage de Tippi Hedren avec ses lèvres avant d’atteindre la bouche de Marnie.

Mais le rapport entre eux deux est bien plus ambigu. Un rapport fascination/dégoût se tisse. Marnie ne supporte pas le corps de son amant mais reste attirée par lui. Lui, connaît son secret, la menace en même temps qu’il la protège et devient complice et est séduit par elle.

Pas de printemps pour Marnie est une œuvre clé de Hitchcock. Un film intelligent, subtil, sensuel, pudique, amoureux. Hitchcock se renouvelle. Autant il recycle certains thèmes récurrents dans son œuvre, autant il fait preuve aussi d’une certaine audace technique. Ces fondus au rouge comme pour suggérer les vertiges de l’héroïne, la chute de cheval, le zoom-dézoom  presque final lorsque Marnie essaye de résister à son envie de voler etc…

Et puis, bien sûr, il y a cette tension constante, cette habileté dans le suspens, ce secret bien gardé jusqu’au bout. Un film essentiel et qui séduit à chaque fois.

Benoît Thevenin


Pas de printemps pour Marnie – Note pour ce film :

Sortie française le 6 novembre 1964


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