Poison d’avril de William Karel (2006)

Début mars 2002, l’élection présidentielle bat son plein. Simon (Bruno Todeschini), un journaliste dès plus cynique, est nommé directeur de l’information d’une grande chaîne nationale de télévision. Sa mission : faire remonter une audience en chute libre…

Documentariste de renom, William Karel s’est imposé comme l’un des plus fins observateur de la vie politique nationale et internationale. Poison d’avril revient sur la campagne présidentielle de 2002 et l’accession au second tour, le 21 avril, du leader de l’extrême-droite française Jean-Marie Le Pen, président du Front National. Ce téléfilm fictionnel raconte une histoire en prise directe avec l’actualité et diffusé pour la première fois sur Arte (le 19 janvier 2007) à l’amorce d’une nouvelle campagne présidentielle. Poison d’avril a eu de fait comme première fonction celle de piqûre de rappel.


William Karel construit son film autour d’une thèse débattue selon laquelle le thème de l’insécurité, rabbaché par les médias, a favorisé l’élimination du leader socialiste Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen, dans la course au second tour des présidentielles 2002. Cette « promotion » du chef frontiste, bouleversement majeur de l’histoire politique récente en France (et Europe), vécue légitimement comme un coup de massue par la majorité des citoyens attachés aux valeurs républicaines, avait valeur de mauvaise blague. On n’en rigole toujours pas. La démarche de Karel de vouloir décrypter à sa manière ce fait d’actualité historique est évidemment importante. Nous n’avons de cesse de nous plaindre ici du manque de volonté de la part de nos cinéastes de s’emparer directement et à bras le corps des questions politiques qui font débat, ou plutôt surtout, de s’intéresser aux hommes qui nous dirigent. Karel, via ses documentaires, a notamment analysé les présidences de Gisard d’Estain et Mitterrand ou retracer l’histoire de l’Extrême droite en France. Son regard sur la vie politique est dès plus rigoureux. Reste que le cinéaste, dans son choix de raconter cette histoire sur le mode fictionnel plutôt que documentaire, prend aussi le parti pris de quelques libertés par rapport à son sujet. Cela n’empêche pas le sérieux de son propos, au contraire, mais celà suppose comme une certaine précaution prise par rapport aux enjeux exposés et surtout, par rapport aux conclusion tirées.


Le matraquage médiatique quelque peu foutraque des questions d’insécurités est-il l’explication fondamentale de l’échec socialiste de 2002 ? Sans doute serait-il malhonnête de le prétendre absolument mais il y a là très certainement, une partie des réponses aux questions qui ont afflué dès le 21 avril à 20h. Karel épingle le rôle des journalistes, dont certains sont prêts à toutes les manipulations pour des raison autant mercantilistes que, il ne faut pas le nier non plus, idéologiques. William Karel n’épargne personne et porte un regard sévère mais lucide et dénué de toute complaisance sur le rôle de ces journalistes. La nuance est bien sûr de mise car tous les acteurs journalistiques ne sont pas mis, fort heureusement, dans le même panier. Le coeur de Poison d’avril réside dans la lutte d’influence et le combat entre une rédaction globalement juste et morale face à un directeur de l’information, leur supérieur hiérarchique donc, vendu à des principes beaucoup moins nobles. Poison d’avril fait froid dans le dos mais il est un film nécessaire.

Benoît Thevenin


Poison d’avril (TV) – Note pour ce film :
Première diffusion le 19 janvier 2007 sur Arte


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