Le Roi Lire de William Karel

2011 est l’année du centenaire de la maison Gallimard, éditeur par lequel sont passés la majorités des plus grands auteurs du XXème siècle, de Marcel Proust à Patrick Modiano en passant par D.H Lawrence, Jean Genet, Albert Camus, Romain Gary, Vladimir Nabokov, Louis-Ferdinand Céline, André Malraux, Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Georges Simenon etc.

A l’occasion de cet anniversaire, William Karel réalise pour Arte un documentaire hommage, par lequel il retrace les grandes lignes du parcours de Gaston Gallimard (puis de ses héritiers), cofondateur des Editions de La Nouvelle Revue Française (NRF) avec André Gide et Jean Schlumberger, et porteur de cette politique d’excellence qui fait de Gallimard – encore aujourd’hui – la plus prestigieuse des maisons d’éditions française, et en même temps, une entreprise rentable.

Karel construit son film en relatant chronologiquement l’Histoire de la NRF puis des éditions Gallimard, selon un procédé à la fois simple et relativement atypique. Le film se présente comme une succession de correspondances entre écrivains, ou de lettres d’écrivains à l’adresse de Gaston Gallimard, ou d’extraits des livres des écrivains. Tous sont soigneusement choisis et emblématiques de l’époque, accompagnés d’archives visuelles de l’INA ou d’extraits des actualités Gaumont et Pathé, permettant de retracer de façon limpide le parcours de Gallimard. Les lectures sont en même temps passionnantes. Tous ces  textes sont des témoignages sensibles et parfois très précieux, qui révèlent pour certains la fragilité des écrivains, la complexité des relations entretenues avec Gaston Gallimard etc.

Le film s’articule autour de quelques témoignages dont ceux de Pierre Assouline, auteur en 1984 d’une biographie de Gaston Gallimard intitulée Un demi-siècle d’édition française, de JMG Le Clézio, auteur Gallimard et Prix Nobel de Littérature en 2008, ou encore de Patrick Modiano, le (ou l’un des) dernier(s) à avoir signé un contrat avec Gaston  Gallimard lui-même.

Le film n’a pas vocation à révéler de manière exhaustive et fouillée l’Histoire des éditions Gallimard. Le Roi Lire est simplement un hommage, à Gallimard et à ses écrivains, à la fois objectif et en même temps passionné, amoureux même. Le parcours de la maison n’est lui évoqué que dans ses grandes lignes.

On apprend comment la NRF a d’abord raté Marcel Proust en refusant Du côté de chez Swann édité finalement par Grasset, avant que Gaston Gallimard ne convainque Marcel Proust de venir dans son giron. Les anecdotes sont parfois savoureuses, drôles ou infiniment sensibles quand est évoqué les sort d’Alain-Fournier, fusillé par les allemands en 1914, et auteur génial du Grand Meaulnes, son unique roman achevé, en 1913.

Le Roi Lire évoque l’homosexualité d’André Gide, les années de guerre sous Occupation allemande ou Gallimard continua son activité en s’accommodant de la Collaboration ; comment la NRF subit les règlements de comptes de la fin de la Guerre mais bénéficia du soutient inconditionnels d’écrivains résistants.

Le film évoque les destins tragiques de Romain Gary et d’Ernest Hemingway, le scandale de Lolita par Nabokov, la relation tordue avec Céline, à la fois auteur génial et personnage abominable qui oblige à faire la part des choses, ce que font Gallimard comme Malraux… On découvre avec une certaine fascination, les images d’archives de Céline mais aussi des extraits d’interviews sublimes d’intelligence de la part de Marguerite Duras etc.

Le documentaire s’achève avec l’évocation du succès mondial de Harry Potter, inattendu et vis-à-vis duquel Gallimard à donc eu, là aussi, le nez fin. Ce succès immense permet à la Maison Gallimard d’entretenir encore aujourd’hui sa réputation et sa rentabilité,  sa politique d’excellence (notamment via La Pléiade) et son sens de l’avant-garde (création de la collection Folio) qui est de nouveau à l’épreuve de défis actuels comme celui des bibliothèques numériques.

Le Roi Lire donne envie de se (re)plonger dans certains ouvrages et  s’intègre à toute une série d’évènements organisés pour l’occasion de ce centenaire de la maison. Signalons notamment la très belle exposition installée à la Bibliothèque Nationale du France depuis le 22 mars et jusqu’au 3 juillet.

Benoît Thevenin

Lire aussi :

  1. [Le Monde selon Bush] Portrait du réalisateur William Karel
  2. Poison d’avril de William Karel (2006)
  3. Interview avec William Karel, réalisateur d’Opération Lune et Poison d’avril.
  4. La Sirga de William Vega (2012)
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Un commentaire sur “Le Roi Lire de William Karel”

  1. claudine castel dit :

    Bonjour,

    Ce Roi Lire tient de l’hagiographie, la part d’ombre est totalement occultée (l’occupation + les conflits familiaux). Pourquoi pas si on se place du point de vue de W. Karel qui rend hommage à une petite/grande maison d’édition qui a su rester indépendante. Mais les grands absents donnent à mesurer les limites de ce documentaire, je pense à Drieu La Rochelle, donc à Aragon, qui joua un rôle dans les choix éditoriaux, au délicieux Raymond Queneau « placardisé » tout comme Robert Antelme (le mari de Marguerite D).

    « Sens de l’avant-garde » avec la création de la collection Folio, dites-vous, ce fut surtout un bras de fer avec Hachette et la création de son propre réseau de distribution (le nerf de la guerre) où Maspero y perdit des plumes. Si Folio rime avec avant-garde, c’est à voir du côté de l’objet-livre et du talent de Massin le directeur artistique et de son équipe.

    Karel m’a plutôt donné envie de relire le petit pamphlet de Michel Deguy « le Comité. Confessions de lecteur d’une grande maison ».
    C. C.

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