Apprentice de Boo Junfeng (2016)

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Pour son deuxième long-métrage après Sandcastle en 2010, le jeune cinéaste singapourien Boo Junfeng aborde le sujet épineux de la peine de mort dans son pays et selon un point de vue plutôt inédit, celui des bourreaux.

Le jeune Aiman est engagé comme bourreau dans un établissement pénitencier haute-sécurité. Il effectue son apprentissage du métier auprès de Rahim, le chef des exécutions. A travers le parcours d’Aiman, rapidement reconnu comme doué pour ce travail, le cinéaste propose une véritable immersion dans les coulisses de la prison, des bureaux administratifs jusqu’à la salle de mise à mort.

La démarche est plutôt intéressante pour ce qu’elle a d’inédite. Boo Jungfeng renverse le point de vue ordinairement du côté des accusés dans le couloir de la mort et se place donc du côté des exécutants, ceux que le cinéma décrit souvent de manière extrêmement caricaturale. Boo Junfeng rend à la fois compte de l’humanité et de la complexité morale de ceux chargés d’accompagner de grands criminels vers la mort, écornant les préjugés et veillant à ne pas tomber dans une certaine complaisance. Il est certain que le parcours d’Aiman n’éveille aucune fascination. Le film ne justifie en rien non plus le recours à la peine capitale, tout autant qu’il s’abstient, a priori, de le désapprouver.

Apprentice n’a en effet rien d’une oeuvre à thèse. Il est en premier lieu un film qui cherche à rendre leur humanité aux personnes, qu’il s’agisse des condamnés ou des bourreaux, et qui évite soigneusement tout regard sentencieux sur aucun de ces personnages. Ce faisant, le film ne se limite pas à la seule description clinique et froide de la procédure. Aiman, le jeune héros du film, porte en lui un secret qui fait se poser la question de sa motivation à être formé à ce travail pas comme les autres. La révélation de ce secret jette un trouble, ce qui va opposer Aiman à son chef Rahim. Le film s’égare alors un petit peu, s’engageant dans une narration quelque peu artificielle qui tranche avec le sérieux minimaliste et austère avec lequel elle était jusqu’alors menée. C’est aussi en empruntant cette voie que le cinéaste étoffe son discours. La révélation du passé d’Aiman et de son rapport à son père affirme la croyance du cinéaste envers l’hypothèse de la seconde chance. Cette idée heurtant de plein front le principe même de la peine de mort, Boo Jungmen laisse alors transparaitre ses propres convictions.

Le film n’a ainsi rien d’inconfortable pour le spectateur, d’autant que le cinéaste reste quand même très en surface des choses. La position morale du cinéaste transpire in fine, mais de part la sobriété de sa mise en scène et le peu de profondeur accordé aux personnages, il s’épargne un véritablement questionnement intellectuel sur la pertinence de la peine capitale. Il y a beaucoup de pudeur quant à la possibilité d’aborder frontalement le sujet, non pas parce que l’on attend que le film s’engage vraiment, mais parce que l’on sent que le cinéaste n’ose pas se confronter à cet écueil. En ça, Apprentice est très loin d’être le « film choc » que prétend l’affiche en circulation. La lourdeur du sujet ne justifie pas à ce seul titre un tel qualificatif.

B.T

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