38 témoins de Lucas Belvaux (2012)

La filiation entre Rapt, précédent long-métrage de Lucas Belvaux sorti en 2009, et 38 témoins est assez évidente et personnifiée à l’écran par la présence de Yvan Attal au casting des deux films. Comme Rapt, 38 témoins s’inspire d’un fait divers réel, raconté par Didier Decoin dans son livre Est-ce ainsi que les femmes meurent ? Le drame que raconte Decoin s’est déroulé en 1964 à New York, mais il n’est qu’un exemple parmi d’autres qui illustrent à quel point la cruauté peut-être le corollaire de la lâcheté et de l’égoïsme. On se souvient par exemple d’une autre histoire, à New York également il y a quelques années. Un SDF intervient contre l’agression d’une femme en pleine rue. Blessé par l’agresseur, il s’effondre devant une caméra de surveillance qui capte son agonie et l’insupportable ballet des passants qui marchent à côté de lui dans une indifférence sidérante. Autre exemple sordide, l’accident de la petite Yue Yue en Chine, morte renversée par une camionnette l’hiver dernier. Pendant de longues minutes, aucune des nombreuses personnes qui passent à côté du corps inerte de l’enfant ne pense à lancer l’alerte. Il n’y a donc pas qu’à New York que ce genre de faits divers survient.  L’indifférence et la couardise sont au contraires des attitudes universellement adoptées.

Lucas Belvaux a choisi de transposer le fait divers de New York 1964 au Havre aujourd’hui, dans une artère du centre ville. La rue est tranquille, sauf ce soir où, poignardée plusieurs fois par son agresseur, une jeune femme hurle sa douleur dans le silence de la nuit. Trente huit témoins ont vu ou entendu la scène mais personne ne se dérangera pour porter secours à la victime. Elle meurt dans l’indifférence la plus complète.

Moins habile que Rapt, 38 témoins déçoit un petit peu, la faute d’abord à des dialogues parfois ridicules (cf. les scènes entre Nicole Garcia et Sophie Quinton). On a ainsi d’abord  le sentiment d’un film bancal et qui passe peut-être à côté de son sujet. Lucas Belvaux pose le récit et les enjeux de manière assez didactique mais cela aussi parce que ce qui l’intéresse en fait n’est pas le fait divers.

Le cinéaste focalise son attention sur le personnage de Pierre (Yvan Attal), qui d’abord nie avoir été témoin de quoique ce soit, comme tous les autres, avant de reconnaître le contraire, et ainsi liguer toute une communauté contre lui. Lucas Belvaux cherche a décrire le cheminement psychologique de son personnage et, plus que tout, les conséquences que vont avoir cette affaire sur la personnalité de Pierre, mais aussi tous les autres. Le film dévie peu à peu peu du fait divers pour instruire une véritable étude de comportement. Et le fait que Pierre soit la pierre angulaire de cette histoire lie 38 témoins à Rapt.

En effet, le scénario de Rapt se déroulait en deux temps, l’enlèvement du personnage joué par Yvan Attal, puis son retour à la société et les conséquences psychologiques de sa captivité sur lui et son sur son entourage. Dans 38 témoins, le personnage de Pierre est rongé par la culpabilité mais pense dans un premier temps à préserver l’équilibre de sa vie de couple, et plus généralement sa tranquillité. Il ne supportera pas longtemps ce poids là et choisira d’apaiser sa conscience en révélant qu’il a été témoin et que tous les autres résidents de son immeuble n’ont pas pu ne pas entendre l’agonie de la jeune femme. Comme dans Rapt, le personnage d’Yvan Attal se retrouve isolé. Il est mis à l’index, rejeté par ses voisins, et son couple est mis en danger. C’est là que 38 témoins devient vraiment passionnant, quand Pierre devient une victime. Une somme d’enjeux moraux sont mis sur la table. Les trois acteurs majeurs du récit deviennent Pierre, la journaliste (Nicole Garcia) et le procureur (Didier Sandre). L’affaire devient on-ne-peut plus sensible et complexe et chacun endosse une responsabilité particulière, à l’égard de lui-même pour Pierre, mais vis à vis de la société entière pour le journaliste et le procureur.

Tout le travail de Lucas Belvaux consiste a examiner ce rapport là, entre l’individu et la société. Ses personnages sont des héros moraux et quelque part idéalistes, mais qui sont impuissants face à une société cynique et cruelle qui les broie. La démonstration est là moins éloquente que dans La Raison du plus faible (2006) ou Rapt (2009), mais 38 témoins s’inscrit dans leur droite lignée, nous questionne inévitablement et nous renvoie à nous même. Lucas Belvaux poursuit son chemin en toute cohérence et, même si le film est cette fois assez fragile, la démarche est toujours autant utile que pertinente.

Benoît Thevenin

38 témoins ***

Sortie française le 14 mars 2012

Lire aussi :

  1. Rapt de Lucas Belvaux (2009)
  2. La Raison du plus faible de Lucas Belvaux (2006)
  3. Les Témoins d’André Téchiné (2007)
  4. La Chasse (Jagten) de Thomas Vintenberg (2012)
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Un commentaire sur “38 témoins de Lucas Belvaux (2012)”

  1. selenie dit :

    Outre le début trop statique, voir trop balisé (on sent la direction d’acteur) la suite offre un film intelligent et juste à tout point de vue. L’émotion est également trop superficielle au début. mais quel film pourtant, intègre et digne… 3/4

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