Répulsion (Repulsion) de Roman Polanski (1965)

Après Les Parapluies de Cherbourg (Demy, 1964) qui fait d’elle l’actrice la plus convoitée en France, Catherine Deneuve accepte la proposition de tourner à Londres Répulsion, deuxième long-métrage de Roman Polanski, cinéaste polonais encore méconnu en 1965. Le jeune réalisateur avait déjà offert un rôle à Deneuve pour son projet d’adaptation de Naïves hirondelles de Roland Dubillard – qui ne verra finalement jamais le jour – mais elle refusa net. La comédienne finit par regretter son choix et accepta de s’engager pour Répulsion.

Roman Polanski, installé à Paris après la sortie du Couteau dans l’eau, s’est lié d’amitié avec Gérard Brach. Ensemble, ils travaillent à l’écriture de nombreux scénarii, dont l’adaptation de Dubillard, mais aussi Cul-de-sac, une histoire originale que Polanski souhaite porter à l’écran pour son deuxième film. Le scénario n’intéresse personne mais Polanski rencontre les producteurs Micheal Klinger et Tony Tenser. Ces derniers lui commandent un film d’horreur et c’est là que Brach et Polanski écrivent Répulsion.

Catherine Deneuve joue le rôle de Carole, une jeune manucure belge qui ne supporte pas les hommes. Elle vit à Londres chez sa soeur qui veille sur elle comme une mère un peu stricte. Lorsque celle-ci part en vacance à Pise, ce n’est pas la tour qui s’effondre, mais le fragile équilibre mentale de Carole qui va la conduire jusqu’à la folie meurtrière.

Les titres du générique d’ouverture défilent de manière oblique sur un oeil de Carole filmé en très gros plan. Polanski propose d’emblée de pénétrer l’univers mental de son héroïne et déjà cela va de travers. La caméra recule et laisse découvrir une jeune femme avec des yeux vairons et qui semble complètement perdue dans ses pensées. Carole est au travail et tient la main d’une cliente. On a le sentiment qu’elle soulage une morte tant la séquence est emprunte, du fait de l’attitude absente de Carole, de gravité, et d’autant que le masque de soin que porte la cliente la fait ressembler à un cadavre en décomposition. En quelques plans à peine, Polanski installe une ambiance chargée et présente son personnage principal comme déconnecté de toute réalité. Lorsqu’elle déambule ensuite dans les rues de Londres pour rejoindre son appartement, elle reste hagarde, se déplaçant tel un zombie. Sa blondeur éclatante et la pureté de son visage encourage néanmoins un jeune homme à l’aborder de façon cavalière dans la rue. Elle ne se laisse pas faire, mais ne le rejette pas non plus complètement. Le dragueur la raccompagne et obtient même la promesse d’un rendez-vous pour le lendemain.

Carole ne supporte pas l’intrusion du compagnon de sa soeur dans l’appartement. Elle s’agace du moindre signe de sa présence et se bouche les oreilles lorsqu’elle entend les ébats du couple. Des fissures commencent aussi à apparaître, au sol dans la rue, ou sur les murs une fois que la soeur l’a laissée seule dans l’appartement.

Roman Polanski met en scène la folie de Carole de manière progressive. L’espace se réduit (Carole se cloitre), on passe de la lumière à l’ombre (elle ferme les rideaux) et les aliments pourrissent puisqu’elle est de moins en moins elle-même et ne remplit aucune des obligations que l’on peut attendre d’elle. Polanski utilise le grand angle, multiplie les distorsions visuelles, les ruptures nettes et brutales dans le montage, autant de manières de rendre compte de la schizophrénie de Carole, également très sensible du fait de la bande-son, stressante et inquiétante, parfois proche de celle de Bernard Herrmann pour Psychose (Hitchcock, 1960). Polanski utilise aussi des sons isolés et amplifiés, comme le tic-tac de l’horloge qui tape sur la tête de Carole et qui accentue le sentiment d’un déséquilibre et d’un désordre, de plus en plus perceptible visuellement à l’écran aussi (l’appartement saccagé par Carole).

Le malaise est d’autant plus grand que Catherine Deneuve reste constante dans sa manière d’incarner Carole, elle ne surjoue par la folie, ne cède pas à l’hystérie comme tant d’autres dans des rôles proches. Au contraire, c’est l’impression d’une normalité dans le comportement de Carole qui rend le personnage si déstabilisant. Le plan final, un zoom avant sur une photo de famille qui pénètre l’oeil de Carole enfant, accrédite l’idée d’une Carole socialement déviante depuis son plus jeune âge. On peut ainsi spéculer sur un traumatisme initial et/ou un mal surnaturel qui l’affecterait, ce qui ouvre la voie aux prochains films de Polanski.

Répulsion représente en tout cas son premier grand succès public. Grâce aux bénéfices engendrés par ce film, Brach et Polanski obtiennent même toute latitude pour réaliser enfin Cul-de-sac.

Benoît Thevenin

Répulsion ****

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