Le Couteau dans l’eau (Noz w wodzie) de Roman Polanski (1962)

Comédien chez le jeune Andrzej Wajda dans les années 50, puis étudiant à la prestigieuse Ecole nationale de cinéma de Łódź ou il réalise une dizaine de courts-métrages, Roman Polanski réalise à 29 ans son premier long-métrage. Le Couteau dans l’eau, l’histoire d’un couple bourgeois confronté à un jeune marginal impétueux, ouvrira immédiatement au cinéaste l’accès aux cinématographies occidentales. Du reste, Le Couteau dans l’eau restera longtemps (jusqu’au Pianiste en 2002) le seul film qu’il tournera en Pologne, son pays même s’il est né et a vécu ses trois premières années à Paris.

A la fin de ses années d’étude à l’Ecole de cinéma de Lodz, qu’il ne validera d’ailleurs pas, Roman Polanski est embauché à plein temps par Kamera, une société de production pour laquelle il est chargé de mettre sur les rails des projets de films. Polanski ne perd pas de vue son ambition de réaliser son premier long, ce que Kamera finira par lui proposer.

Polanski coécrit le scénario du Couteau dans l’eau avec Jerzy Skolimowski, alors étudiant comme lui à l’Ecole de cinéma de Lodz. Il s’entoure sinon de son équipe habituelle pour ses courts-métrages, et confie la musique à son ami Krzystof Komeda. Le film présente un couple en voiture engagé sur la route pour un week-end de croisière sur leur voilier. Le mari manque de renverser un jeune auto-stoppeur placé au milieu de la route pour obliger la voiture à s’arrêter. La discussion s’amorce puis l’auto-stoppeur entre finalement dans la voiture. Il finit même par accompagner le couple sur le bateau…

Le film rappelle immanquablement Plein Soleil, le film que René Clément réalisa en 1960 avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, deux ans avant le film de Polanski. Il est probable que le jeune cinéaste avait vu le film de Clément. Lorsqu’il rendait visite à sa soeur à Paris, Polanski passait ses journées à la Cinémathèque de Langlois pour découvrir les films qui ne sortaient pas dans la Pologne communiste. Les deux films n’ont cependant pas grand chose à voir sinon cette configuration schématique, deux hommes qui se disputent la même femme sur un bateau.

Le film commence avec Krystina (Jolanta Umecka) au volant de la voiture. Andrzej, le mari (Leon Niemczyk)  s’impatiente et l’a fait arrêter sur le bord de la route. Dès les premiers instants, Andrzej a besoin d’affirmer son autorité. Pire, il se montre condescendant après avoir manqué de renverser un jeune auto-stoppeur au milieu de la route (Zydmunt Malanowicz) en spéculant sur ce qui aurait pu arriver si son épouse avait encore été  au volant.
Andrzej prend le jeune homme dans la voiture et finit par l’inviter sur le voilier. Le film va se dérouler ainsi, pendant environ 1h20, exclusivement à l’intérieur de l’étroit petit bateau. Polanski fait preuve d’assez de talent pour varier constamment les angles, expérimenter quelques procédés (comme cette scène ou l’auto-stoppeur regarde son doigt pointé vers le ciel en fermant alternativement un oeil puis l’autre) et d’offrir ainsi une mise en scène dynamique et moderne.

Le voilier devient le théâtre d’un affrontement psychologique entre les deux hommes. Ils se livrent à un véritable combat de coqs. Andrzej se montre méprisant et moqueur vis à vis de son cadet dont il raille l’incapacité à diriger le voilier. Ce dernier lui répond en se hissant tout au haut du mat. L’auto-stoppeur commence alors à susciter l’admiration de Krystyna, en même temps que l’agacement d’Andrzej, qui se sait incapable d’un pareil effort. Vexé, il se saisit d’ailleurs fermement de la barre, histoire de montrer que c’est encore lui qui est aux commandes.

Le vers est dans le fruit. Clairement Krystyna devient l’enjeu de la rivalité entre les deux hommes. Les regards se multiplient entre elle et l’auto-stoppeur. Polanski multiplie lui les allusions sexuelles, notamment via le couteau qui donne son titre au film, véritable symbole phallique que les deux garçons finissent par se disputer.

Le tournant intervient dans la scène à l’intérieur de la cale du petit navire. Le trio s’y réfugie après avoir été surpris par une averse. Pour passer le temps, ils se prêtent au jeu des mikados. Dans un premier temps, le plus jeune surprend discrètement le corps nu de Krzystyna en train de se changer. Elle prend ensuite place entre les deux mâles et le duel peut reprendre, qui va commencer à tourner en faveur de l’un. Les participants au jeu prêtent un gage lorsqu’ils perdent. Le premier enjeu devient Krystyna elle-même, puis le couteau. La tension est présente. Les deux hommes se livrent à un nouveau concours, fortement connoté sexuellement, lorsqu’ils se défient pour gonfler un matelas pneumatique. Andrzej pratique un mouvement qui évoque la masturbation tandis que le plus jeune voit le matelas prendre de la vigueur entre ses jambes. Là, c’est comme si les rôles étaient redistribués. Andrzej est relégué à la position du voyeur et l’auto-stoppeur rentre dans celle du mâle actif. Le basculement s’opère complètement lorsque Krystyna, pour récupérer un gage, doit chanter. Andrzej, agacé, se met un casque sur les oreilles, préférant écouter le commentaire d’un match de foot à la radio. Krystyna entame sa chanson, dans l’indifférence de son mari et  en regardant l’invité dans les yeux. Les paroles sont sans équivoque :  « Ne dis plus rien. Ne me regarde plus ainsi. Laisse-moi partir. Fini le temps des mots d’amour. Des clairs de lune, des étoiles. Fini le temps de la tendresse. Ne mens pas, ne me demande rien. Tu sais qu’il ne nous reste rien etc. »


Krystyna se rend compte que son mari est un idiot arrogant et lui en fera part sans ménagement. « tu es poseur, cabotin… Crâner devant un petit morveux ! C’est pour ça que tu l’as invité ». L’eau est encore calme mais le couple traverse des courants tumultueux. On se doute que leur vie commune devra se construire sur les ruines de cette journée.

Le film, malgré sa subtilité et ses audaces – ou peut-être à cause de ça – est très mal accueilli à sa sortie en Pologne. Il faut dire que critiques et spectateurs sont habitués à des films de propagande pour le pouvoir socialiste. Polanski livre un film totalement affranchit de ces modèles. Il va même jusqu’à insérer sur la fin du film une scène de dispute entre les deux époux qui est le prétexte à une dénonciation des rapports de classes au sein de la société.

Le film est mal reçu en Pologne mais est en revanche très bien accueilli à l’étranger. Polanski remporte le Prix FIPRESCI de la critique internationale lors de la Mostra de Venise en 1962. Le Couteau dans l’eau est aussi nommé dans la catégorie du meilleur film étranger lors de la cérémonie des Oscars en 1964. Déjà raillé lors de ses études pour son habitude à utiliser son passeport pour sortir de Pologne, Polanski comprend qu’il sera mieux accepté et mieux compris s’il travaille hors de son pays. Il a d’autant plus besoin de changer d’air que l’expérience du tournage du Couteau dans l’eau a été particulièrement pénible. Au court de ce tournage, Polanski a perdu un de ses meilleurs amis, le documentariste Andrzej Munk, été confronté à la Police, a subit un accident de la route terrible qui manqua de peu de lui coûter la vie, et dû encore faire face à la sortie du film, outre les mauvaises critiques, au divorce avec sa première épouse, l’actrice Barbara Kwiatkowska…
Polanski s’installe alors à Paris et rencontre bientôt le scénariste Gérard Brach qui sera un de ses plus grands amis. Ensemble ils écrivent des scénarii, dont celui de Répulsion qu’il tournera en 1964 à Londres avec Catherine Deneuve….

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