Dernière séance de Laurent Achard (2011)

Dans une petite ville de province, un petit cinéma de quartier est sur le point de fermer ses portes. Sylvain, le projectionniste, est le dernier salarié du lieu, assurant seul la billetterie et les projections des dernières séances. Le jeune homme ment à son employeur et poursuit l’exploitation du cinéma comme si de rien n’était, se refusant à retourner les copies au distributeur et à déménager les locaux. Surtout, il mène une double vie secrète de tueur en série. La nuit, une fois les projections terminées, il assassine à l’arme blanche des femmes égarées dans les rues de la ville…

A divers niveaux, Laurent Achard pose la question de la survivance, celle des femmes que Sylvain (Pascal Cervo) assassine, mais plus sûrement encore celle du cinéma. Il ne s’agit pas seulement de la survie de l’établissement mais aussi de la survie d’une idée du cinéma, du souvenir de son âge d’or, hollywoodien notamment.

Les films à l’affiche du cinéma tenu par Sylvain n’ont pas été choisit par hasard. Leur titre sont des clins d’oeils évidents : Last Days et La Captive. Entre ces deux là, il y a le poster de French Cancan, et c’est celui là le film pivot dans l’intrigue, celui qui connote l’idée la plus intéressante, celui là qui provoque des discussions passionnées entre cinéphiles (cf. le cameo de Noël Simsolo) ou des rencontres amoureuses. French Cancan (Jean Renoir en 1954) représente à la fois l’âge d’or du cinéma français, un des meilleurs films à la fois de Renoir et de Jean Gabin. Et en même temps, French Cancan pose lui aussi la question de la survivance, avec un directeur de salle qui lutte contre l’intrusion des financiers pour sauver la noblesse et la persistance de l’art du cancan…

L’actualité nous fournit des exemples de cette difficile confrontation que subissent actuellement de nombreux gérants de salles. A Paris, c’est l’avenir du Balzac, institution cinéphile des Champs-Elysées et dernier garant, avec le Lincoln, d’une certaine cinéphilie sur « la plus belle avenue du monde », qui est en jeu. L’exemple est emblématique, et fait parler, mais nombreuses sont les petites salles de cinéma de province à disparaître dans l’indifférence ou presque. Les multiplexes, le numérique etc., tout tend vers une uniformisation des accès aux films de cinéma. L’autre triste exemple que nous fournit l’actualité est la liquidation de la société Quinta, qui met en péril l’exploitation d’une soixantaine de longs-métrages (et dans le lot, ce n’est pas Asterix 4 et La Vérité si je mens ! 3 qui suscitent a priori le plus d’inquiétudes…)

Ainsi, subtilement, Laurent Achard rend à sa manière hommage à ce cinéma qui semble disparaître, que l’on poignarde régulièrement dans le dos à l’arme blanche, à cette cinéphilie qui ne se vit plus de la même manière. Dernière séance constitue un bel hommage mais s’il est autant réussi, c’est surtout parce que Laurent Achard est un véritable cinéaste, qui ne se contente jamais de filmer platement, bien au contraire. Le cinéaste est discret, ne réalise là que son troisième long-métrage depuis 1998 (Plus qu’hier, moins que demain ; puis Le Dernier des fous en 2006, tous avec Pascal Cervo), et n’est pas forcément celui que l’on cite spontanément en premier lorsque l’on défend la qualité du cinéma français. Et pourtant il est une véritable valeur sûre, un cinéaste qui s’est déjà distingué par son style et sa maîtrise avec ses précédents films. Dernière séance ne fait pas exception. Achard instaure une atmosphère incertaine et quelque peu inquiétante, qui colle au genre supposé dans lequel il s’inscrit, entre slasher classique et giallo. La mise en scène est élégante, sobre, mais fascine en premier lieu pour la composition des plans, les choix esthétiques, les couleurs éclatantes. Pour autant, en terme de sensation, Dernière séance ne fait jamais peur, la violence est maintenue à distance. Clairement, ce n’est pas ce qui intéresse fondamentalement le cinéaste, et c’est un parti-pris parfaitement assumé. Dernière séance est fragile et précieux, et d’abord  un bel objet de cinéma.

Benoît Thevenin

Dernière séance ****

Sortie française le 7 décembre 2011

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