Nana de Valérie Massadian (2011)

Le premier film de Valérie Massadian commence par une scène saisissante, en plan séquence, dans laquelle un cochon est exécuté puis convulse nerveusement pendant de longues minutes. Cette mort se déroule sous les yeux d’un groupe de très jeunes enfants, pas choqués d’assister à la scène. La mort du cochon fait partie de leur environnement et de leur quotidien. Ils ont quatre ans et déjà intégré cette réalité.
Parmi ces enfants, il y a Nana et c’est elle seule qui nous intéresse, autour d’elle que la cinéaste bâtit son film.

La cinéaste construit de la fiction à partir de moments qui semblent pris sur le vif, comme arraché à la réalité. Le film n’est pas fait de dialogues ou de narration mais le spectateur ressent une progression, un cheminement, qui malgré le caractère brut, voir même brutal de ce qui est montré, induit du sens.

Le film est fait de telle sorte que l’on s’immerge tout doucement dans le monde intérieur de Nana. Trois segments composent le métrage : d’abord Nana auprès de son papy éleveur de cochons, puis Nana avec sa maman habitant seule une maison de pierre près de la forêt, et enfin Nana toute seule qui se débrouille sans aucun référent adulte. La trajectoire a quelque chose de vertigineux et de presque inexplicable. La cinéaste réussit à capter quelque chose de la réalité de Nana, quelque chose qui échappe à Nana car trop petite pour comprendre ce qu’il se passe. Nana est plongée dans son univers personnel et en dehors de la réalité, ce qui lui permet d’échapper à la violence de que le spectateur perçoit lui.

Dans les deux premières parties, Nana reçoit un enseignement, son grand-père et sa mère lui inculquent des valeurs, un savoir. En tout cas, quelque chose de l’ordre de la transmission se joue. La petite fille subit malgré tout un isolement de plus en plus strict, une forme d’abandon qu’elle compense par ses initiatives, une autonomie qu’elle acquiert peu à peu, à sa manière, et en reproduisant ce qu’elle a reçu comme enseignement de ses aînés.

Par son approche quasi documentaire, Valérie Massadian livre un film presque expérimental qui interroge le réel et provoque un bouleversement chez le spectateur. La cinéaste nous fait suffisamment confiance pour ne laisser aucune explication, mais au contraire offrir à chacun la liberté de son interprétation, de sa représentation de ce qui est livré de façon brut. La puissance d’évocation de Nana est assez incroyable, stupéfiante même. On ne sort pas tout à fait indemne de l’expérience de ce film qui utilise tous les moyens du cinéma pour mieux sortir des sentiers battus. Nana est singulier, exigeant, et en même temps induit un rapport simple et immédiat avec le spectateur. L’exigence du film, c’est ce qui fait son originalité, son audace, la force de ce qu’il permet comme réflexion et le fait qu’il ne puisse laisser insensible. Et en même temps, Nana est le formidable portrait d’une enfant de 4 ans ; une enfant somme toute comme les autres – et c’est ça qui est fort – mais qui risque de marquer durablement.

Benoît Thevenin

Nana ****1/2

Sortie dans les salles françaises le 11 avril 2012

Lire aussi :

  1. Little Miss Sunshine de Valerie Dayton (2006)
  2. Polisse de Maïwenn (2011)
  3. Jeanne Captive de Philippe Ramos (2011)
  4. Il n’y a pas de rapport sexuel de Raphael Siboni (2011)
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