Goodbye, Dragon Inn (Bu san) de Tsai Ming-liang (2003)

Le titre fait référence à Dragon Gate Inn, wu xia pian réalisé par King Hu en 1964. Ce film est projeté dans une salle de cinéma, celle qui constitue le seul décor du métrage de Tsai-ming Liang. Le cinéaste a réalisé Goodbye, Dragon Inn dans une certaine urgence, en réaction à l’annonce de la destruction du cinéma Fu-Ho dans la ville taïwanaise de Yung-ho. C’est dans cette salle, dans laquelle Liang avait quelques de ses habitudes de cinéphiles, qu’avait été tourné plusieurs plans de Et-là bas quelle heure est-il ? (2001), son immédiat précédent film.

Quand Goodbye, Dragon Inn sort, Tsai-ming Liang n’a pas encore affirmé complètement sa réputation de styliste. Ce film là va commencer de rendre compte de la trajectoire d’un cinéaste, à chaque film un peu plus radical ou compliqué à appréhender, car anti-narratif, mais qui est un formidable esthète.

Le film se déroule dans le quasi temps réel du film de King Hu et les seuls dialogues sont ceux du film dans le film. La salle panoramique est déserte, seulement quelques personnes errent dans un mutisme absolu. Ce silence est rompu vers la moitié du film, après 40 minutes, lorsqu’un des rares spectateurs en interroge un autre. « Sais-tu que ce cinéma est hanté ? » C’est exactement de cela dont il s’agit finalement, d’un film de fantômes, un témoignage à propos du temps qui passe, des vestiges d’une vie qui est derrière. Tsai-ming Liang ne livre pas un film nostalgique mais un film qui interroge le temps, un peu de la façon énoncée par le seul titre de celui qui était alors son précédent film.

Les fantômes du film de Liang sont d’abord ceux d’un cinéma qui est en train de se perdre, qui est progressivement oublié et/ou disparait. On retrouvera quelques années plus tard cette notion à travers les apparitions des icônes vieillies de la Nouvelle Vague – que Liang chérit tant – dans Visages (2009). Dans Goodbye, Dragon Inn, les fantômes sont donc les acteurs de Dragon Gate Inn, Shih Chun et Miao Tien, qui assistent à la projection de leur film et réalisent que plus personne ne vient les voir.

Il en est ainsi du cinéma, un art qui enregistre et fige le présent. Les personnes qui apparaissent dans les films ne vieillissent plus, ils restent des années et des siècles après, beaux comme au premier jour et demeurent à tout jamais des fantômes qui, à chaque fois que les films sont montrés, hantent ainsi d’une certaine manière le présent. Le titre va bien dans ce sens : Liang ne salue pas un lieu voué à la démolition mais bien une oeuvre tombée dans un relatif oubli.

Cependant, Goodbye, Dragon Inn témoigne bel et bien, aussi, de l’existence à un moment donné de ce lieu de cinéphilie qui donc, peu de temps après le tournage, a été détruit. La disparition programmée de l’endroit se traduit par les fuites d’eau qui remplissent les sceaux posés dans les couloirs. Tsai-ming Liang demeure ainsi fidèle à ses motifs récurrents : trous, humidité, fuites sont également les signes d’un désenchantement. La destruction du lieu sera le moment de bascule vers une autre époque mais qui manifestement ne suscite pas encore d’enthousiasme chez Liang. Goodbye, Dragon Inn, s’il n’est pas un film nostalgique, répond malgré tout d’un regret d’un temps passé et bientôt oublié. La valeur du film est de réparer cette fuite du temps. Le seul moyen à sa disposition c’est donc ce film-témoignage dans lequel les fantômes trouvent un refuge lui-même disparu du réel mais dont la mémoire est préservée à l’écran.

Benoît Thevenin


Goodbye, Dragon Inn– Note pour ce film :
Sortie française le 21 juillet 2004

Lire aussi :

  1. I Don’t want to sleep alone (Hei yanquan) de Tsai Ming-liang (2007)
  2. Visage (Face) de Tsai Ming-Liang (2009)
  3. La Saveur de la pastèque (Tian bian yi duo yun) de Tsai Ming-liang (2005)
  4. Wang Liang’s Ideal (Wang Liang de li xiang) de Gao Xiongjie
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