Les Herbes folles d’Alain Resnais (2009)

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Festival de Cannes 2009 / Prix Exceptionnel du jury

Cela aurait pu être une banale histoire, un incident qui provoque quelques réactions en chaîne, qui motive un chassé-croisé amoureux pas très original. Alain Resnais n’est pas le premier venu, et ce n’est pas de lui qu’il faut attendre un film anodin, quand bien même le monsieur a 87 ans et qu’il est a un âge ou on ne lui reprocherait pas de profiter d’une retraite bien méritée. Au lieu de ça, Alain Resnais nous gratifie encore d’un objet sorti d’on ne sais-où, un film libre dont le titre choisit augure des velléités de l’auteur en ce sens, une oeuvre loufoque, inclassable, presque dérangeante tant elle navigue à plusieurs nivaux et selon différents états. Bref, Les Herbes folles peut laisser circonspect ou admiratif, mais n’autorise pas vraiment une quelconque indifférence.

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Une femme (Sabine Azema) s’achète une paire de chaussures dans une boutique à Palais Royal. Le narrateur en off nous dit qu’elle ne peut trouver botte à son pied que dans ce magasin, car ses pieds sont particuliers. Rien ne suggère dans la scène qu’elle puisse avoir des pieds différents de quiconque, rien n’est explicité non plus. Cette seule évocation parait alors seulement incongrue, et donne le La de tout ce qui va suivre. La suite immédiate, c’est un vol à l’arraché de son sac à main. Marguerite ne s’affole pas. Un homme (André Dussolier) retrouve plus tard son portefeuille dans un parking. Il cherche à le rendre à sa propriétaire et l’histoire qui aurait pu s’arrêter là dans la vie ordinaire, prend une tournure inattendue.

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Chaque idée du film, narrative ou visuelle pousse telle une herbe folle, cet épis de brins incontrôlables et qui pousse n’importe ou, s’infiltre y compris dans les fissures du béton. Le sujet des Herbes folles n’est en lui-même pas très original, à première vue. Il n’est question finalement que de désir, de quête amoureuse et frivole, et Resnais y lie une déraison de tous les instants qui est la caractéristique même de la passion. Le film suit un chemin qui ne nous conduit jamais là ou le spectateur souhaite ou s’attend à aller, ne répond à aucune logique bien précise. Resnais, par l’entremise du récit (L’Incident) de Christian Gailly qu’il adapte très fidèlement, construit un récit ou tout n’est que contradictions et fantaisies.

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Les personnages des Herbes Folles sont deux individus d’un certain âge. L’un est grand-père quand l’amante qu’il convoite par son étrange manière est une éternelle célibataire à la recherche encore du grand amour, peut-être ou peut-être pas. Qu’en sait-on en fait ? Chacun développe un comportement adolescent, souvent irresponsable, qu’il s’agisse de récupérer une lettre glissée précipitamment dans une boîte aux lettres, de perdre patience au téléphone quand le désir n’est pas déjà satisfait, de refuser d’aller au travail le matin parce que l’on reste dans la douce euphorie d’une soirée agréable. C’est tout de même très intriguant, cette vitalité, cette énergie, de Resnais, de ses personnages. Il y en a là, et l’inventivité qui va avec, plus que dans la très grande majorité de la production du jeune cinéma français actuel.

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Alain Resnais ne se contente pas pour autant de disséminer des éléments insolites. Les Herbes folles est un film un peu fou, mais dont le scénario répond malgré tout  à une logique qui est celle de sa mise en scène, jusque dans ces étranges raccords qui eu aussi font la singularité de l’objet. Resnais impose un univers ancré dans la réalité, mais qui toujours parait factice, imaginaire. La drôle de romance qu’il noue se déroule dans un contexte féérique, de voiture rutilante, de couleurs éclatantes, de néons qui donne le sentiment de nuits fantasmées etc. Car quelle est la part d’imaginaire et celle du réel dans ces Herbes folles ? Toutes les incongruités repérées sont-elles l’expression du songe ? George Palet est-il un dangereux tueur ou un un adolescent étouffé par sa maman – en l’occurrence plutôt son épouse (Anne Consigny) – et qui éprouve le besoin,  sinon le désir, de s’émanciper dans les bras de quelqu’un d’autre. La passion de Marguerite pour l’aviation est-elle également un fantasme (elle l’est en tout cas pour George) ?

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La narration n’accepte aucun règlement, aucun compromis, aucune soumission à l’ordre des choses. Car qu’est ce que l’ordre des choses ? Alain Resnais ne signe pas seulement un film fantasque, Les Herbes folles fait aussi acte de désobéissance. On se souvient que Resnais a oeuvré toute sa carrière partout et dans tous les genres. On se souvient que ses premiers films de fiction dans les années 60, L’Année dernière à Marienbad entre autre, étaient d’inspiration surréaliste, et d’André Breton que Resnais à toujours admiré. Le libre-arbitre, la quête de soi, le déterminisme, les ressors psychologiques, tous ces thèmes s’entrechoquent tout à la fois dans son entière filmographie et dans ce seul film. Les Herbes folles ne condense rien, ce n’est pas un film-somme, seulement une oeuvre étonnante tout à l’image de son auteur. Le spectateur est bousculé, chahuté d’un état à l’autre, sans trop savoir ou il va atterrir. Mais avant de penser atterrir, il est de bon ton de savourer l’instant du vol, de se laisser emporter par les improbables loopings de l’appareil. La fin n’en est pas une et c’est un message que nous envoie Resnais, à ceux qui oseraient croire que ce film là puisse être son dernier. Et de se demander si « quand je serai un chat je pourrai manger des croquettes ? ».

Benoît Thevenin

Filmographie sélective d’Alain Resnais :

1936 : L’Aventure de Guy
1953 : Les statues meurent aussi
1955 : Nuit et brouillard
1959 : Hiroshima mon amour
1961 : L’Année dernière à Marienbad
1963 : Muriel, ou le Temps d’un retour
1966 : La guerre est finie
1968 : Je t’aime, je t’aime
1974 : Stavisky
1977 :  Providence
1980 :  Mon oncle d’Amérique
1983 : La vie est un roman
1984 : L’Amour à mort
1986 :  Mélo
1993 : Smoking/No smoking
1997 : On connaît la chanson
2003 : Pas sur la bouche
2006 : Cœurs
2009 : Les Herbes folles


Les Herbes folles – Note pour ce film :
Sortie française le 4 novembre 2009

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Aucun commentaire sur “Les Herbes folles d’Alain Resnais (2009)”

  1. Cactus dit :

    un film de maître mené à la braguette magique !( chut , on ne peut en dire plus )
    magique , justement !

  2. yacine_ dit :

    De vraies réserves du côté du scénario. Mais (les photos que tu as choisies en attestent) le film est une merveille de maitrise visuelle.

  3. Atikat dit :

    J’ai rien compris…..belles images, il va me falloir du temps pour mettre en place ce que je viens de voir !

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