J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)

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Le premier film de Xavier Dolan est d’une profondeur inédite, d’une audace et d’une richesse rare.  Avec « J’ai tué ma mère », Xavier Dolan signe d’emblée une entrée remarquée et remarquable dans la cour des grands. Rien que ça.

Je t’aime moi non plus. Hubert aime sa mère mais se pourrit la vie à la détester viscéralement. Comme Antoine Doinel dans Les 400 coups, Hubert tue sa mère…

Il y a des cinéastes qui nous parviennent et dont instantanément on devine une personnalité, une originalité, un culot ou, tout simplement, un talent. Xavier Dolan est d’autant plus prometteur que J’ai tué ma mère est son premier film, alors même qu’il n’a que 20 ans. Un premier film écrit, réalisé, autoproduit et interprété par Xavier Dolan : la performance est plus que notable.

Il faut dire que J’ai tué ma mère est un film comme on en voit rarement, une oeuvre qui bouscule, dérange, provoque, mais sans complaisance et avec une rigueur dans le propos qui est tout à fait étonnante. Le personnage de Hubert est une tête à claques qui ne supporte absolument rien chez sa mère avec qui il vit seul. Il ne supporte pas ses goûts, sa cuisine, sa façon de manger, ce qu’elle raconte etc. Ce qu’il reproche à sa mère est en fait typique d’un adolescent (il a 16 ans) en pleine crise existencielle et en pleine révolte. Sauf que Hubert est un personnage abjecte et détestable et l’on est d’abord plein d’admiration pour cette mère bien courageuse qui fait preuve d’une patience exceptionnelle.

La haine de Hubert à l’égard de sa mère n’est pas monolithique. Le film est construit intelligemment, avec finesse et les personnages se révèlent. Hubert avoue aimer sa mère, mais pas en tant que mère. Il dit d’elle qu’elle pourrait être son amie, mais sa mère, non… ils sont incompatibles. Selon lui, elle l’étouffe, l’empêche de vivre, chose que tout adolescent finit par reprocher à ses parents un jour ou l’autre.  Le film est intelligent car, s’il nous montre un fils développant un rapport pathologique à sa mère, le personnage finit par se rendre compte de l’injustice avec laquelle il considère celle qui l’a mit au monde. La mère finit par rompre d’elle même une situation apaisée, sans doute parce que destabilisée par le soudain changement de comportement de son fils.  Evidemment cela nourrira la haine de sa progéniture.

J’ai tué ma mère est un film souvent agaçant car Xavier Dolan passe son temps à hurler contre sa mère pour des motifs généralement ridicules. Le personnage est une véritable tête à claques dont on se demande parfois ce qui retient sa mère de le gifler. Le film n’est heureusement pas constitué que des colères du jeune homme. Le récit s’autorise quelques appartées avec la mère, le fils concède quelques confidences privées qui décrédibilisent sa haine si viscéralement exprimée. Le récit en est passionnant, riche, construit avec méticulosité et raffinement.

Le film à toutes les chances d’être ressenti en plus très personnellement par la plupart des spectateurs. Même si les colères de Hubert sont largement exagérées, on reconnaît les motifs de disputent et d’incommunicabilité qui troublent tant les relations parents/enfants au moment de l’adolescence. Les évènements qui parcourent l’intrigue sont si communs que tout le monde les a sans doute vécus.

J’ai tué ma mère est le récit d’un garçon en voie d’émancipation, un adolescent en crise qui cherche à se frayer un chemin dans le monde des adultes. Il lui faut pour cela trouver qui il est véritablement, d’où cette importance de la question sexuelle dans le film puisque Hubert dissimule son homosexualité. Surtout, selon l’expression consacrée, pour devenir grand, responsable, indépendant, Hubert doit tuer le père… en l’occurence, plutôt la mère.

Au final, ce film est une complète révélation, car il faut un sacré tempérament, et une sacré intelligence pour, à 20 ans à peine, livrer une oeuvre si riche et si lucide sur une période dont le cinéaste lui-même n’a encore que peu de recul. Son introspection est autant vertigineuse qu’élocante, et  d’autant que Xavier Dolan injecte également à sa mise en scène du sens. C’est la preuve que le film est pensé de A à Z, sans place au hasard. Cette rigueur là est rare, surtout à 20 ans. Bravo.

Benoît Thevenin


J’ai tué ma mère – Note pour ce film :

Sortie française le 15 juillet 2009

Lire aussi :

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  2. Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016)
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  4. Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois (2010)
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Aucun commentaire sur “J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)”

  1. Lise dit :

    Quel film, je suis impressionnée par la profondeur de la thématique telle que développée par Xavier Dolan. Pour avoir travaillé longtemps avec des jeunes en difficulté, je trouve qu’il démontre très bien que la haine transitoire que l’on porte à un parent au moment de l’adolescence est souvent le reflet d’un aspect de soi-même que l’on accepte pas. L’auteur décrit peu le cheminement d’Hubert face à son homosexualité…serait-ce possible dans le cas présent qu’hair sa mère signe le refus de sa propre féminité. L’intérêt de ce film c’est qu’il nous porte à questionner.

  2. coming soonn dit :

    tout à fait mais alors totalement d’accord avec toi.
    Un grand un très grand Bravo pour ce film!!!

  3. Charles-Henri dit :

    Oui un très beau film, mais aussi un très bel exemple de persévérance. Quand on sait les conditions financières dans lesquelles il a été produit, on doute vraiment du fin jugement de certaines institutions de financement et de la frilosité des distributeurs. Et dire qu’on en parlait même pas deux semaines avant qu’il ne soit sélectionné.

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