Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016)

juste la fin du monde

A vif. Auteur depuis 2009 d’un cinéma intense, exigeant, exubérant et souvent tragique, Xavier Dolan a trouvé dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, le matériaux parfait pour explorer avec une acuité toujours plus forte la violence des rapports au sein d’une famille dysfonctionnelle. Juste la fin du monde est d’une certaine manière le pendant de Tom à la ferme (2013), adapté également d’une pièce de théâtre (de Michel Marc Bouchard). Dolan interprétait lui même le rôle de Tom, jeune homme qui débarquait de Montréal pour se rendre aux funérailles de son petit ami et rencontrait pour l’occasion sa famille. Aux grands espaces que Dolan ouvrait dans ce film ambitieux et douloureux, le cinéaste oppose dans Juste la fin du monde une mise en scène extrêmement resserrée sur ses personnages, limitée presque exclusivement à des cadrages en gros plans. Cela commence donc avec le visage de Louis, encore dans l’avion, et dont la voix en off informe qu’il est en train de se rendre dans sa famille, douze ans après, pour lui faire ses adieux.

A la violence physique à laquelle cèdent les personnages de Tom à la ferme, Dolan oppose cette fois la violence des mots. Ils sont ceux de Lagarce. Dolan a très peu modifié le texte du dramaturge Haut-Saônois, et il n’a pas plus changé la structure narrative. Cette pièce de théâtre est tombée dans les mains du cinéaste par l’entremise d’Anne Dorval, sa comédienne fétiche, celle à qui il avait toujours confié un rôle dans chacun de ses films jusqu’alors. Xavier Dolan admet volontiers qu’à sa première lecture, il n’avait pas adhéré à ce texte, qu’il éprouvait même une sorte d’aversion pour la langue de Lagarce. Il a manifestement fini par se l’approprier.

L’histoire se joue dans le huis clos de la maison familiale. Quand il pénètre à l’intérieur, Louis (Gaspard Ulliel) semble rentrer chez fous. Il est accueilli par sa mère excentrique (Nathalie Baye), sa soeur Suzanne qu’il ne connait presque pas (Léa Sedoux), son frère Antoine, complexé et rancunier (Vincent Cassel) et Catherine, l’épouse de ce dernier qu’il n’avait encore jamais rencontré (Marion Cotillard). Si Louis semble débarquer chez les fous, c’est parce qu’il fait immédiatement face, et le spectateur avec lui, à un flot constant de cris, de hurlements, d’invectives et de reproches. Louis est spectateur de ce déchaînement, de cette ébullition, et il lui oppose son caractère, une attitude silencieuse et posée. Il est à l’écoute, froid et impassible.

Le huis clos, la mise en scène ultra resserrée sur les personnages, tout concours avec évidence à faire ressentir une sensation d’étouffement. Elle est certainement éprouvée par Louis, par tous les personnages en fait, mais par le spectateur aussi, tant les nerfs sont soumis à rude épreuve. Au texte cinglant de Lagarce, brut et dénuée de la moindre didascalie et donc de la moindre indication de caractérisation des personnages, Dolan ajoute une dimension grotesque qui lui ressemble et qui tient d’abord à l’interprétation des acteurs, mais aussi au rythme de son montage. Nathalie Baye, perruquée et surmaquillée, est dans le registre de l’hystérie. Vincent Cassel est dans la colère permanente. A ces deux caractère extrêmes, répondent l’effacement de Marion Cotillard dans le rôle de Catherine, sensible et discrète, mais aussi le relatif équilibre du personnage de Suzanne, avec une Léa Seydoux qui est dans la réaction plutôt que dans l’agression.

La violence des échanges entre eux, sur des motifs souvent triviaux en apparence, révèle les failles et les fragilités de chacun. Le récit se structure autour des tête-à-tête que Louis accorde à tous les membres de sa famille. Ces séquences sont en fait autant de monologues où tous finissent par s’abandonner et dévoiler la douleur qu’ils portent en eux. Le film, éprouvant dans ses longs affrontements verbaux, offre ainsi ce qu’il a de plus beau dans les rares moments de silence et lorsque les personnages finissent par se mettre à nu face à Louis. Cela peut être dans un simple échange de regard avec Catherine, ou bien lorsque La mère impose encore son « histoire des dimanche ». C’est aussi quand, dans la voiture, Antoine rend les armes et se livre enfin, avant d’exploser une nouvelle fois. Ces instants s’apprécient d’autant plus qu’ils sont furtifs.

Ce chaos familial est autant éreintant de par sa lourdeur que par ses outrances, mais Dolan ménage suffisamment de moment d’apaisement pour que l’émotion sans cesse étouffée se libère enfin, pour qu’une certaine lumière jaillisse quand même. Le film n’a rien d’aimable, il est même insupportable et détestable par certains de ses aspects. Pourtant, il y a quelque chose de très beau qui émerge, une émotion pure à laquelle se raccrocher. L’erreur pour le spectateur, ce serait de seulement s’arrêter aux mots et à la fureur rabâchée, de ne pas voir la peur qui assaille et afflige dans des formes diverses chacun des personnages  De la même manière que la pièce de Lagarce se déploie dans ses intervalles, le film de Dolan s’épanouit dans les quelques moments de liberté qu’il se permet. L’image finale du coucou qui s’envole prend tout son sens. L’ultime plan renvoie quant à lui à l’object même qui a motivé la visite de Louis, mais dont il était couru d’avance qu’il ne réussirait pas à l’annoncer.

Benoît Thevenin

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