Toni Erdmann de Maren Ade (2016)

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A l’arrière d’une voiture, Ines (Sandra Hüller), expose les trois options qu’elle a imaginé pour faire aboutir un plan de délocalisation d’une entreprise roumaine. Avec elle dans le véhicule, le PDG du groupe, attentif à ses arguments, mais aussi un homme grimé par une perruque et de fausses dents, lequel se présente comme coach/conseil. Comment ce clown peut-il se retrouver là, dans le secret d’importantes discussions stratégiques desquels vont dépendre le sort de près de 200 ouvriers roumains ? Il n’y a pas de réponse à cette question, de la même manière qu’il n’y a jamais d’explications quant à la présence permanente, dès le début et tout au long du film, de l’amuseur. Celui-ci est en fait le père d’Inès, et le film repose entièrement sur la relation entre les deux, sur l’intrusion directe et systématique de Winfried dans les affaires professionnelles de sa fille. En le laissant faire ses pitreries, elle risque pourtant à chaque seconde de perdre la confiance de ceux qui l’emploient.

Le film de Maren Ade oscille ainsi entre cynisme extraverti d’une poignée de cols blancs prétentieux et sans affect, et grande farce comique menée par un clown véritable et incontrôlable, même si jamais vraiment perçu comme tel par ses interlocuteurs. De part son attitude permissive, Inès joue un jeu dangereux et insaisissable mais qui apporte par l’absurde la preuve du caractère irresponsable de certaines tractations financières. Ce qui apparaît par la présence toujours border line de Toni Erdmann (l’un des pseudonymes utilisé par Winfried) auprès de sa fille, c’est combien l’aisance des personnes dans leurs attitudes et leurs discours prime sur toute rationalité. Cela révèle par opposition combien les négociateurs économiques sont eux même, finalement, eux aussi des bouffons.

C’est peu dire que le film surprend, et la grande prouesse réussie par Maren Ade, au delà de la grande originalité de son scénario, c’est de tenir 2h40 durant sur le fil sensible de la drôle de relation entre Inès et Winfried. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout ne repose pas exclusivement sur les épaules du personnage loufoque incarné par Peter Simonischek. Le contraste avec la froide Inès, détonne. Surtout, les chiens ne faisant pas des chats, il n’est pas surprenant de voir Inès aller au-delà de simplement jouer le jeu de son père. Elle a elle même une part de folie, une part de perversité aussi, qu’elle sait laisser exprimer quand elle n’a plus rien à perdre, offrant d’ailleurs au film ses principaux morceaux de bravoures.

Conçu comme une grande farce comique, Toni Erdmann est tout le temps très drôle, sans jamais aller trop loin ni épuiser le spectateur, mais le film est aussi et surtout une puissante charge contre le libéralisme financier et ses outrances scandaleuses. La démonstration est spectaculaire autant qu’implacable. C’est sans doute la proposition de cinéma la plus étonnante et la plus enthousiasmante reçue depuis longtemps.

Benoît Thevenin

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