Le fils de Saul de László Nemes (2015)

 

Saul fait partie d’une unité du Sonderkommando du camp d’Auschwitz, un groupe de prisonniers juifs chargés sous la contrainte de leurs bourreaux nazis, d’assister ceux ci en remplissant les basses oeuvres de l’entreprise d’extermination du camp. Leur mission consiste à conduire les prisonniers dans le crématorium, à récolter les objets de valeurs que les condamnés possédaient encore, et à nettoyer et désinfecter le crématorium. Un jour, Saul assiste à l’agonie d’un jeune garçon qui a survécu à son passage dans la chambre à gaz…

Au soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, la question de la mémoire de la barbarie nazie est plus que jamais d’actualité. Elle est d’autant plus sensible à une époque, la nôtre, où l’antisémitisme ressurgit au sein de nos sociétés et ou l’on entend aussi la Grèce appeler l’Allemagne au remboursement des réparations d’après-guerre.

Premier film d’un réalisateur âgé de 38 ans, Le Fils de Saul est un objet de cinéma d’une force et d’une audace à nulle autre pareille, mais qui surtout réussi la prouesse de rebattre les cartes de la question de la représentation des camps nazis au cinéma.

Tourné en 35 mm, projeté dans un format 4/3 (carré) devenu rare, le film emprunte une forme qui tend à le rapprocher des documents d’archives de la Seconde guerre mondiale.L’impression est d’autant plus forte que László Nemes prend le parti-pris d’une mise en scène radicale, avec la caméra placée de manière systématique derrière les épaules de Saul. C’est là toute l’audace du cinéaste, car de cette manière il nous immerge au plus près de l’horreur absolue des chambres d’extermination. La caméra ne fait qu’accompagner Saul, épouse partiellement son point de vue. En restant derrière le personnage l’essentiel du temps du film, le spectateur ne voit pas exactement ce que Saul voit, il a une vison parcellaire, floue, et de ce fait suggérée de ce qui est en train de se passer.

La logique de la mise en scène crée une sensation d’étouffement, d’écoeurement même. László Nemes ne montre jamais directement ce qui est en train de se passer, mais il propulse son personnage principale dans une quête hallucinée en plein coeur du dispositif nazi. Privilégiant les longs-plan séquences, le cinéaste parvient à dilater le temps, faire ressentir une sorte de temps réel et aboutir à l’impression constante d’une urgence absolue, d’une course contre la montre et contre l’inéluctable. La quête illusoire qui habite Saul pendant tout le temps de la narration, elle n’est qu’un moyen pour le détourner de ce qu’on lui demande de faire, mais elle aussi l’astuce scénaristique habile qui permet au spectateur de ne pas se retrouver dans la situation d’accompagner Saul dans les gestes qu’on lui impose. Saul agit à contre-courant, il se donne une mission qui font de lui quelque chose d’autre qu’un résistant, un véritable héros, un sauveur, ce qui est autrement plus confortable pour le spectateur. Face à un tel sujet, la question du regard et de ce qui est montré est en effet fondamentale. László Nemes a réussi le Tour de Force de trouver une manière juste d’aborder le sujet des camps d’extermination avec un regard inédit et neuf, et éviter les pièges du voyeurisme et de l’obsène. Le fils de Saul marquera sans doute très durablement les consciences de ceux qui le verront. Il est, pour nous au moins, un film déjà essentiel.

B.T

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Un commentaire sur “Le fils de Saul de László Nemes (2015)”

  1. Souad dit :

    J’attendais cette chronique. C’est le film qui m’intéressait le plus dans la sélection. Ce que tu en dis me conforte dans l’envie de le voir.
    Bravo pour tes chroniques, bonne fin de festival :-)

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