Le Repenti (El Taaib) de Merzak Allouache (2012)

En 1999, dans une volonté d’apaiser les tensions à l’intérieur du pays, l’Etat algérien organise l’amnistie des terroristes cachés dans les maquis via une loi dite de « concorde civile ». Cette disposition permet le retour dans les villages d’hommes avec du sang sur les mains mais qui profitent de cette aubaine pour renoncer à la lutte armée et renouer avec la vie ordinaire des honnêtes citoyens qui, pour certains, ont été leurs victimes. Cette amnistie est cruelle car elle nie les droits des victimes à voir ce qu’ils ont subit reconnus.

Merzak Allouache a été interpellé par le récit dans un journal d’un fait divers lié à cette loi de « Condorde civile ». Il s’agissait de l’histoire d’un homme contacté par un « repenti », lequel lui proposait un marché immoral et dégoûtant. Le cinéaste est parti de ce point de départ qu’il a transposé à l’Algérie aujourd’hui, et a imaginé lui même qu’elle pouvait être la suite de cette douloureuse histoire.

Le cinéaste de Harragas suit ainsi le parcours de Rachid, un jeune djihadiste qui retourne à sa vie d’avant, dans son village, dans le cadre d’une loi d’amnistie. Immédiatement, ceux qui ont été ses amis le rejettent. Lui se défend d’avoir été un tueur. D’autres assurent l’avoir vu égorger des personnes. Ses parents sont en revanche heureux de le revoir.

Ce qui frappe d’abord, c’est la jeunesse et le peu d’assurance de Rachid. On ne saura jamais véritablement ce qu’il a fait dans les montagne, mais il n’est en rien innocent. Il a été dans un groupe djihadiste, il les a soutenu et ne serait-ce que pas sa complicité avec eux, il est coupable de toute la violence que eux ont produit. Rachid se rase la barbe mais cela ne fait pas de lui un homme lavé de tout ce qu’il  a pu commettre. Il comprend rapidement qu’il aura du mal à se faire une place. Il obtient une place de garçon de café, mais il n’a pas la tête au travail.

Merzak Allouache évoque de façon âpre la dure réalité d’une société forcé de se reconstruire sur des bases de solidarité. Comment réintégrer les bourreaux d’hier et les faire participer à la vie sociale, comme si rien ne s’était passé. Allouache rend compte de blessures profondes, irréversibles et qu’aucune loi d’amnistie ne peut soigner. Aucune loi ne peut évacuer d’un revers les traumatismes et effacer les mémoires. Rachid ne se voit pas d’avenir. C’est d’abord pour cette raison qu’il va retrouver un pharmacien qui est une victime du terrorisme. Cet homme est brisé. Son couple est détruit. Il marche la tête haute, parce qu’il faut continuer à vivre, mais il est rongé par les remords. C’est ça qui est le plus terrible dans ce film. La victime se pose plus de questions morales, se sent responsable de ce qui lui est arrivé alors que son bourreau affiche un cynisme intolérable et une absence de regret qui est effroyable.

Allouache livre un film dur mais un film nécessaire, intelligemment mené, toujours délicat dans l’examen des rapports complexes et sensibles qui se jouent entre les différents personnages, et qui a une porté plus large que son seul contexte algérien. La question se pose aujourd’hui de la réinsertion des bourreaux en Egypte et en Tunisie. Merzak Allouache montre ce que représente concrètement, pour chacun sur le plan intime, ce difficile cheminement. Dans son film, tous les personnages sont des victimes. Tous sont des hommes avec leurs faiblesses, qui ne sont pas foncièrement mauvais à la base, mais qui ont emprunté des trajectoires opposées. Le Repenti nous montre une réalité de la vie des hommes ensemble qui n’est pas belle à voir, mais qu’il était important de révéler.

Benoît Thevenin

Le Repenti ****

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