La Pirogue de Moussa Touré (2012)

Ils sont jeunes mais n’ont aucune perspective d’avenir dans leur pays. Ces sénégalais candidats à l’exil pour l’Europe savent qu’ils risquent leur peau, mais ils préfèrent mourir en tentant leur chance plutôt que de rester coincés à Dakar. L’Europe est un Eldorado (même s’ils savent que la crise économique frappe durement l’occident). Ils rêvent de gloire footbalistique, d’argent et de filles faciles à séduire. Ils rêvent simplement d »une vie meilleure et où tout sera possible…

La Pirogue nous parvient deux ans après Harragas de Merzak Allouache (2010). D’Alger à Dakar, la jeunesse africaine semble renoncer à s’épanouir sur les terres où chacun est né. Les histoires sont les mêmes. Le modeste canot des « brûleurs » algériens impressionne cependant moins que la longue et somptueuse pirogue sénégalaise.

Le risque avec ce genre de films est celui d’enfoncer des portes ouvertes. Les moyens de la fiction ne sont pas forcément les plus appropriés pour raconter ces aventures humaines, du moins dès lors que le parti pris est celui d’accompagner les candidats à l’immigration tout le temps de leur voyage en mer. Un film comme Boat People d’Ann Hui (1982) est bien plus riche et bien plus intense, parce qu’il prend du recul et regarde bien au-delà de la singularité d’un aller-simple vers l’autre rive. Là, l’idée d’un récit de l’intérieur offre peu de marge de manoeuvre pour une histoire vraiment originale.

Le voyage entre Dakar et la côté Espagnole dure idéalement huit jours, d’après l’un des personnages au début du film. De là, Moussa Touré va dérouler une dramaturgie très balisée. On compte malgré nous les jours et les nuits, et chaque nouvelle journée apporte une nouvelle péripétie : on découvre d’abord un passager clandestin, la pirogue croise le chemin d’une autre en panne sèche et qu’elle ne peut aider, un moteur tombera en panne, une tempête devra être affrontée etc. A chaque jour suffit sa peine, comme autant de passages obligés, d’autant qu’en plus Harragas ne racontait pas autre chose.

Le film aurait sans doute gagné à ce que l’on s’évade un peu de la pirogue, que les personnages soient mieux décrit encore, que l’on s’intéresse davantage à leur personnalités, leurs parcours personnels, leurs rêves, autant de choses que le cinéaste aborde bel et bien mais de façon rapide et superficielle. Moussa Touré préfère l’aventure collective aux portraits plus intimes.

Cela ne retire rien à la noblesse du projet, ni au fait que l’on s’intéresse vraiment au sort des personnages, qu’on les aime et qu’ils nous touchent. Le film n’est pas neutre émotionnellement. Leur histoire, dure et cruelle, ne nous laisse pas indifférent.

La meilleure idée du film reste la pirogue elle même. Elle est une embarcation fascinante, belle, large, longue et puissante, et en même temps très fragile. L’essentielle du film se déroule à son bord, dans une espèce de huis-clos à ciel ouvert. L’espace qu’offre la pirogue laisse libre court au placement de la caméra. Moussa Touré appréhende parfaitement et rigoureusement cet espace, quand bien même on constate quelques faux raccords (d’un plan à l’autre, la pirogue tantôt à sec, tantôt plus ou moins inondée). Ce n’est là qu’un petit détail. Le film est sinon très maîtrisé, simple et carré… Ce qui est sans doute aussi sa grande limite.

Benoît Thevenin

La Pirogue ***

Lire aussi :

  1. Le Grand soir de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2012)
  2. The We and the I de Michel Gondry (2012)
  3. Room 237 de Rodney Ascher (2012)
  4. Opération Libertad de Nicolas Wadimoff (2012)
Email

Laisser une réponse