Room 237 de Rodney Ascher (2012)

Shining est probablement le film le plus populaire de Stanley Kubrick. Parce qu’il s’inscrit plus ouvertement dans un genre (le film d’horreur) et qu’il est adapté d’un roman écrit par l’auteur le plus célèbre de ce genre, Stephen King. De plus comment oublier la performance incroyable de Jack Nicholson ? Mais sa popularité n’a rien à voir avec sa profondeur, ou la richesse de son contenu. Stanley Kubrick est un auteur qui est connu pour sa maîtrise totale de tous les postes sur un film. On aime à penser que chaque élément visible à l’écran a été choisi et placé où il est pour une raison qui n’est certainement pas dû au hasard. Mais jusqu’où cette assertion est vraie ? Jusqu’où peut-on aller dans l’analyse filmique sans tomber dans la surinterprétation absurde ? C’est toute la question que pose Room 237. Dans ce documentaire, Rodney Ascher recueille le témoignage de 5 cinéphiles/nerds qui ont poussé plus loin que quiconque l’analyse de Shining.

Chacun à leur tour, ils vont nous exposer leurs théories sur le film, probablement toutes insoupçonnées par les spectateurs, même les plus attentifs. C’est assez difficile de parler du film sans révéler quelles sont ces analyses, ce qui gâterait quelque peu le plaisir de les découvrir ,mais chacun des intervenants, image à l’appui nous démontre par A + B la véracité de leur démonstration. Le film va de la proposition la plus loufoque (comme lorsque l’un d’eux nous affirme que pendant le générique de début, lors de l’arrivée de la voiture à l’Overlook Hotel, un nuage a la forme parfaite du visage de Kubrick !) à une analyse clairement plus fine et poussée et qui s’avère au final assez troublante. Cela va d’incohérence géographique pour signifier la folie, à tout un passage sur la prétendue et légendaire participation de Kubrick au film des premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, en passant par l’analyse de toutes les affiches et les images que l’on voit de manière furtive sur les murs. Ces différentes analysent balaient un spectre très large et finalement assez inattendu du film. Et le spectateur se surprendra plusieurs fois à ouvrir la bouche en rond autant devant l’évidence que l’énormité de la démonstration.

Ce qui marque probablement le plus dans le discours de ces intervenants c’est leur intégrisme fanatique face au film qu’ils ont vu des centaines de fois et qu’ils ont décortiqué plan par plan, allant jusqu’à reproduire les décors en 3D pour essayer de comprendre les déplacements des personnages d’un espace à l’autre. Rien que ça est un magnifique hommage au film de Kubrick mais plus généralement au cinéma et à la cinéphilie, ou du moins à une cinéphilie tordue, maladive et poussée à l’extrême.

Rodney Ascher prend d’ailleurs le parti-pris de ne jamais montrer autre chose que des images du film (ou à l’occasion, d’autres films de Kubrick). On n’en sort jamais, on ne verra pas le visage des participants. Cela a plusieurs effets, celui de ne jamais permettre aux intervenants d’être trop abstrait mais au contraire de toujours ramener leurs discours au film pour soutenir leurs théories (ce qui est très bien même si parfois un peu répétitif). Mais au moins Rodney Ascher nous rend les discours transparents. Les analyses se basent sur des éléments concrets du film. Après, libre à nous de les croire ou pas. Cela donne également au film ce sentiment paranoïaque conspirationniste où l’on a presque l’impression qu’ils interviennent sous anonymat en nous révélant des choses interdites que l’on cherche à nous cacher, du genre des vidéos YouTube que l’on peut trouver sur le 11 Septembre. Rodney Ascher en joue de manière comique, interrogeant par là notre propre crédulité.  Un autre effet de ce parti-pris esthétique, peut-être le plus intéressant, est de nous enfermer, nous spectateurs, à l’intérieur même du film. Cela prolonge la folie contagieuse des personnages en nous faisant prendre conscience du caractère inépuisable du film de Stanley Kubrick qui, si l’on cherche à l’épuiser dans l’analyse, ne nous laissera jamais tranquille et se bornera à nous interner à l’intérieur de couloirs capitonnés de l’Overlook Hotel.

C’est donc un film intelligent, ludique, tour à tour amusant et fascinant que nous propose Rodney Ascher. Il parvient avec un peu de recul à être plus qu’un bonus de DVD, grâce à la distance évidente que prend le réalisateur avec les intervenants du film. Il s’interroge davantage sur la crédulité du spectateur que sur l’intérêt d’aller creuser aussi profond à l’intérieur d’un film pour en extraire d’obscurs symboles et autres interprétations farfelues. Et même si l’exercice peut paraître un peu répétitif, cela n’entache pas le plaisir pris à voir ce bel hommage à l’inépuisable génie de Stanley Kubrick.

Grégory Audermatte

Room 237 ****

Lire aussi :

  1. The Killing Room de Jonathan Liebesman
  2. The Seafarers de Stanley Kubrick
  3. Cannes 2012 : Le Palmarès de Laterna Magica
  4. Flying Padre de Stanley Kubrick
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