Aux yeux de tous de Cédric Jimenez (2012)

Une bombe explose en Gare d’Austerlitz. Un hacker anonyme, qui a piraté l’ensemble du réseau des caméra de surveillance de la ville de Paris, dispose des images de l’explosion. Un véritable jeu de piste commence pour lui. Il découvre rapidement l’identité des auteurs de l’attentats, se met à les espionner, et remonte peu à peu aux sources de l’affaire, sans se douter sur quoi exactement il a mis le doigt…

A priori, on peut dire sans se tromper qu’Aux Yeux de tous représente une tentative originale, et sans doute unique dans l’histoire du cinéma, dans sa manière raconter une histoire. Ca ne signifie pas que le scénario en lui même est particulièrement brillant. Il est même relativement convenu, quoique sa lecture est largement enrichie par certains évènements qui ont fait l’actualité très récente, dans les semaines précédents la sortie du film.

Cédric Jimenez a choisi de mener son récit de A à Z du point de vue des caméras de surveillance contrôlées par un personnage anonyme et sans visage. La mise en scène respecte strictement le principe – à l’exception de plans d’insert récurrents sur les yeux du hacker ou sur ses écrans, et d’extrait de (faux) journaux télé. La réalisation doit s’accommoder des contraintes suggérées par l’idée, et le cinéaste y parvient tout en révélant une authentique roublardise.

Le film commence, sans installation préalable, avec l’explosion de la bombe. D’emblée, le cinéaste nous saisit, capte notre attention et ne la lâchera plus. La mise en scène est originale car le point de vue qu’offre une caméra de surveillance est nécessairement général et neutre. Cédric Jimenez, via son personnage de hacker, réalise des zooms à l’intérieur du cadre, des arrêts sur images etc. Il utilise à plein les moyens restrictifs à sa disposition, mais de façon cohérente et patiente, prenant le temps de révéler tranquillement et simplement les éléments de compréhension. Le scénario n’est pas tout à fait construit comme n’importe quel film. Les quelques dialogues sont en en fait des conversations prétendument prises sur le fait, avec un son sale car, on le rappelle, chaque image est sensée provenir de caméra de surveillance. Ces scènes servent bien sûr à faire avancer l’intrigue, mais pas plus que les autres. Les plans s’enchainent comme autant de jalons, et c’est en fait le fil d’une pelote que le cinéaste remonte. Chaque plan prépare au suivant et, même si l’histoire obéit à certains codes narratifs, elle se déroule de fait de façon très singulière.

Le film est atypique, intriguant et passionnant d’abord pour cette raison là, mais surtout, il tient la route. Il est en plus un film complètement dans l’air du temps. La fermeture de Megaupload et la colère du mouvement des Anonymous sur le web, cela va dans le sens du film. Le climat sécuritaire, la peur du terrorisme, le soupçon d’instrumentalisation de la terreur à des fins électorales, cela aussi est dans le film. Aux yeux de tous n’a alors rien d’un film neutre et n’est pas non plus un simple délire de cinéaste. Le film nous questionne sur la société dans laquelle on veut vivre. Il s’inscrit dans la réalité, dans le contexte de la société actuelle et, s’il est anxiogène et peut inciter à la parano, il révèle aussi quelque chose de possible/plausible. La société que montre Aux yeux de tous, c’est bien la nôtre, mais le point de bascule avec celle de V pour Vendetta ne semble vraiment plus très loin.

Benoît Thevenin

Aux yeux de tous ***1/2

Sortie dans les salles françaises le 4 avril 2012

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