Delta de Kornél Mundruczó (2008)

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En mai dernier à Cannes, la projection de Delta n’était attendue par personne ou presque. Certains avaient peut-être déjà vu Pleasant Days, le premier film de Kornél Mundruczó, jeune cinéaste hongrois même pas trentenaire. Et ces personnes étaient peut-être curieuses de découvrir ce que le cinéaste allait proposer de neuf. Mais force est de constater que Delta n’avait rien de glamour à faire valoir lors de sa montée des marches : un réalisateur en devenir encore inconnu du public et même de beaucoup de cinéphiles, un passeport hongrois, un sujet austère et difficile, des acteurs tous inconnus (bien que Orsolya Tóth ait déja été vue dans les précédents films de Kornél Mundruczó)… Bref, de tous les films de la sélection, Delta était le moins attirant. Et d’ailleurs, personne ne s’est bousculé au portillon pour la projection au Palais des festivals.

Kornél Mundruczó est un enfant du festival de Cannes. Ils sont nombreux les cinéastes à avoir été découverts par les sélectionneurs des sections parallèles et qui, encouragés et suivis, ont finit par accéder aux honneur du tapis rouge. Mundruczó est né à Cannes en 2005 avec la présentation de Johanna. La même année, le cinéaste s’était fait remarqué avec Pleasant Days – pourtant réalisé trois ans auparavant – film lugubre, naturaliste (caméra à l’épaule, son direct, lumière naturelle) et provocateur (avec notamment des scènes sexuelles explicites). Et pourtant, Pleasant Days était une fantastique expérience de cinéma. Perturbante mais fantastique.

La noirceur profonde de Pleasant Days, on la retrouve dans Delta. Et cette fois, Mundruczó y ajoute une maturité dans sa mise en scène proprement hallucinante.

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Le delta est autant géographique que narratif. Un jeune homme y retrouve sa mère perdue de vue et se découvre une soeur jusqu’alors cachée.
Ce qui frappe d’abord, c’est la beauté de ce paysage dans lequel l’histoire va s’enraciner, quoique le mot n’est pas très juste. Le cadre est paisible, on est dans un coin à l’écart de toute civilisation. Une communauté de personnes vivent là. L’histoire se déroule dans un silence quasi mutique. Le frère et la soeur se découvrent et ne se séparent bientôt plus. Leur relation glisse tandis qu’ils s’isolent davantage. Ils vont construire une cabane, laquelle ne sera reliée à la terre ferme que par un ponton. La scène en question sera d’ailleurs symbolique de cette rupture définitive avec le monde réel.

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Les points de rencontres sont multiples dans le film, et toujours antagonistes. Dans ce cadre paisible du delta du Danube, une histoire ténébreuse se déroule, une histoire qui va attirer d’autres démons.
Delta est un film âpre, difficile, pesant et pourtant lumineux. Tout est contenu dans le travail de mise en scène. Mundruczó oppose l’obscurité à la lumière, teinte la mélancolie de son personnage, le caractère très dur de son histoire, par une subtilité de mise en scène toute à fait étonnante, à la fois rigoureuse et poétique. Les relations entre les personnages se lisent davantage dans leurs regards que dans les mots. Rien n’est dit, rien n’est montré. Le film est très pudique dans ce qu’il nous offre à voir car l’abjecte, ce que l’humain rejette, il faut s’en détourner. Celà étant, tous les enjeux narratifs sont clairement établis. L’intensité du film est même réelle et puissante.

Delta est un film fabuleux ; fabuleusement beau et fabuleusement sombre. Nous connaissions le cinéma hongrois d’abord et presque exclusivement à travers le cinéma de Béla Tarr. Kornél Mundruczó offre un cinéma tout aussi ambitieux mais qui ne correspond en rien aux obsessions formelles de son aîné. En revanche, la peinture que ces deux grands artistes font de la Hongrie est terrifiante. Les deux montrent un pays ravagé, une humanité meurtrie et presque à terre.

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Au plus profond des ténèbres, l’espoir, la lumière, le salut, est toujours là. C’est particulièrement vrai chez Béla Tarr, ça l’est beaucoup moins chez Kornél Mundruczó. La lumière finit par s’éteindre et la foi en l’humain est soudain douloureusement mise à mal. C’est ce qui oppose finalement les deux cinéastes, ce désenchantement absolu qui anime pour le moment le plus jeune des deux.

Vous l’aurez compris, Delta est un film difficile à aimer, tragique et désespérant. Le film dépasse cette impression là, réussi à nous éblouir, par sa force brute, son intensité, sa puissance poétique. On l’a dit, les paradoxes autour de ce film sont nombreux, mais une seule vérité surgit au final : Delta est un film qui habite longtemps après, qui bouleverse par son extraordinaire ambition formelle et émotionnelle. N’hésitez vraiment pas à découvrir ce film, l’expérience est singulière mais vaut vraiment la peine de s’y confronter.

Benoît Thevenin


Delta ****1/2

Sortie française le 4 mars 2009

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