Beast de Christoffer Boe (2011)

Lauréat de la Caméra d’or en 2003, Christoffer Boe reste un cinéaste injustement méconnu en France. Seul Reconstruction, son film primé à Cannes a à ce jour été distribué dans les salles de l’hexagone. Même son thriller politique Everything is fine, pourtant en sélection à la Quinzaine des réalisateurs en 2010, n’a pas trouvé preneur. Le cinéaste danois, peut-être éclipsé par le succès international de ses glorieux compatriotes Lars Von Trier et Nicolas Winding Refn, creuse son sillon discrètement, affine de film en film un style qui lui appartient. Le cinéaste, qui avec Beast signe déjà son cinquième long-métrage depuis 2003, entraîne ses spectateurs dans des univers fantasmagoriques et labyrinthiques, aux mises en scène complexes et qui créent le malaise. Ce n’est alors pas un hasard si Christoffer Boe se retrouve en compétition au festival Fantastic’Arts de Gérardmer, non pas que son film soit directement liée au genre, mais plutôt parce qu’il puise dans les codes et les motifs du cinéma d’horreur classique pour inscrire Beast aux lisières du cinéma fantastique.

Christoffer Boe met en scène la destruction d’un couple – thème décidément très en vogue au Danemark si l’on songe aux films de Lars Von Trier – mais à sa manière. Le réalisateur de Melancholia trouve d’ailleurs en son cadet un véritable héritier. A travers eux, il ne semble n’y avoir qu’au Danemark que l’on construit des drames sombres et anxiogènes en réinventant les thématiques les plus en vogue dans le genre horreur.

Bruno (Nicolas Bro) est marié à Maxine (Marijana Jankovic). Le couple s’aime et vit dans la passion. Maxine dit aimer Bruno, mais a un amant, un collègue de son mari qu’elle voit secrètement (Nikolaj Lie K    aas). Maxine s’apprête à quitter son mari, mais Bruno est hospitalisé après que des douleurs très violentes aient commencées à l’affecter. Quelque chose semble naître en son ventre, alors même que le couple se délite, que les soupçons de Bruno se font plus précis…

Le cinéaste semble raconter une très commune histoire d’adultère, mais tout l’intérêt du film réside dans la manière dont il est mené. Christoffer Boe instaure d’emblée un climat très troublant. On a d’abord l’impression que Bruno et Maxine sont des amants. Ils se retrouvent dans un appartement qui n’est pas le leur pour faire l’amour. Bruno sort un couteau et blesse sa partenaire ; la tension est immédiatement présente. L’homme blesse la femme sous un sein et se jette sur la blessure pour boire son sang. Le couple est dans une union qui va au-delà du simple rapport sexuel. Ils veulent s’immiscer dans le corps de l’autre, en faire partie, mais justement pas d’une façon uniquement sexuelle, dans la fusion de la chair et des fluides. Bruno se nourrit de Maxine, à la façon d’un vampire, et ses douleurs ne sont dès lors pas étonnantes. Il se transforme, il devient une bête ; à moins qu’une bête ne commence à grandir à l’intérieur de lui et favorise sa transformation.

Visuellement très riche, entre naturalisme hérité de Dogma95 et compositions sophistiquées de ce qui sont de véritables tableaux, Beast est un film d’atmosphère, où la tension se mêle à l’étrangeté, où le récit semble toujours proche de déraper. Chistopher Boe excelle aussi dans sa manière de déjouer les attentes. Beast n’est pas un conte de la folie, mais offre plutôt la vision métaphorique de la destruction inexorable d’un couple. Charnel et viscéral, le film constitue incontestablement une tentative originale et qui, mieux que ça, paraît contaminer le spectateur. Il serait peut-être temps d’enfin offrir aux public français la possibilité de se confronter aux expériences que sont les films de Christoffer Boe, un cinéaste encore très jeune (né en 1974) et qui finira forcément par susciter l’attention qu’il mérite.

Benoît Thevenin

Beast ****

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