Sport de filles de Patricia Mazuy (2011)

Entrevues 2011 – Film d’ouverture

Présenté en avant-première et en ouverture du festival Entrevues de Belfort 2011, Sport de filles est le nouveau long-métrage d’une cinéaste rare mais à qui le festival rend hommage en lui consacrant une rétrospective complète. La filmographie de Patricia Mazuy prend forme entre cinéma et télévision, entre documentaires et fictions, sans qu’il soit question véritablement d’entre deux. Au contraire, les festivaliers de Belfort en se confrontant à l’intégrale de l’oeuvre de la cinéaste, se rendront compte qu’il émerge une certaine unité de tous ces films.

On aurait vite fait de cataloguer Patricia Mazuy cinéaste de la ruralité, ou de la ferme plus précisément. Les vaches et taureaux, les chevaux, tiennent une place chaque fois plus importante dans son oeuvre. Cela est lié à son attachement à la région basse-normande, probablement, mais plus sûrement encore à cette vie qu’elle partage avec Simon Reggiani, fils de Serge et grand passionné d’équitation. Ensemble ils ont réalisés Basse Normandie (2004), documentaire en forme d’auto-fiction dans lequel Simon prépare un spectacle pour le salon de l’agriculture qui mêle littérature et équitation : la lecture à cheval des Carnets du sous-sol de Dostoievski.

Sports de filles a été coécrit par Patricia Mazuy et Simon Reggiani, avec comme point de départ  le cavalier Reggiani en quête d’un entraîneur au début de Basse Normandie. Le personnage a été féminisé et est incarné par Marina Hands qui de part son passé de cavalière de saut d’obstacle, sait monter un cheval.

Marina Hands est Gracieuse, prénom curieusement attribué à une jeune femme  qui révèle un tempérament déterminé et sec. Elle ne vit que pour les chevaux, quitte à renvoyer dans les cordes n’importe quelle âme humaine qui se place en travers de son chemin. Comme tous les personnages de Patricia Mazuy, Gracieuse est droite dans ses bottes, et pour le coup elle l’est littéralement.

Cavalière de saut d’obstacle, Gracieuse claque la porte de l’élevage qui l’employait, à cause de la vente du cheval qu’on lui avait promis. Elle rejoint le haras voisin de la ferme de son père et recommence tout à zéro, obtenant un travail de palefrenière. Le haras en question est dirigé par Joséphine de Silène (Josiane Balsako), intransigeante en affaire et qui réalise sa fortune sur le dos de Franz Mann (Bruno Ganz), un ancien champion très réputé et convoité.

En présentant le film à Belfort, Patricia Mazuy expliquait que Bruno Ganz hésitait beaucoup avant de s’engager sur ce projet, doutant de ses capacités à jouer en français. Elle l’a convaincu en lui disant qu’il n’aurait plus beaucoup d’occasions dans sa carrière de jouer un sex toy. Et c’est effectivement ce qu’est Bruno Ganz dans le film !

Sport de filles tourne entièrement autour de la figure de Franz Mann. Il est usé, fatigué d’être exploité. Il est cerné de femmes qui exigent tout de lui, qui l’exploitent pour des contreparties dont il ne se satisfait plus. Il vit avec Joséphine mais elle ne se gêne pas pour lui envoyer dans les dents le fait qu’il ne possède rien, sinon ce savoir qui fait fructifier les finances du haras. La remise en question de Franz survient lorsque deux femmes débarquent soudainement et bousculent ses repères. Il y a d’abord cette riche cavalière américaine, sa maîtresse, qui ne souhaite qu’une chose, que Franz quitte Joséphine et la rejoigne à Miami. Et puis il y a Gracieuse, qui ne va pas se contenter longtemps de son rôle de simple ouvrière.  En somme, Franz est tiraillé de partout. Il est là pour faire plaisir à ces dames mais aucune ne pense véritablement à ce que Franz souhaite lui. Gracieuse n’est pas moins calculatrice que les autres, mais elle est celle qui peut redonner de l’envie à cet entraineur repus et en bout de course…

Dans un milieu très codifié et ou chacun est sensé être à sa place, Gracieuse détonne. Et c’est peut-être à ça qu’on reconnait aussi Patricia Mazuy. Ses films ont un caractère très affirmé, droit et intransigeant. La cinéaste parle de détermination et de travail, d’univers fermés ou en prenant le risque d’exploser les codes, on peut réussir à se faire une place. Le film prend place dans le monde du business équestre et de la compétition de dressage, mais l’histoire et les personnages sont déclinables à d’autres territoires. Sport de filles a d’ailleurs tendance à rendre perplexe parfois, par cette musique rock de John Cale, ex du Velvet, qui intervient à des moments ou elle ne parait pas opportune. La musique dynamite un cadre stricte, une ambiance  presque sectaire ou rétrograde, parce que la modernité n’est pas accepté. Le soupirant de Gracieuse le lui fait remarquer « Ne te fais pas d’illusion, l’ère moderne c’est fini ». Sans trop en avoir l’air, Sports de filles via Gracieuse bouscule tout un tas de principe et pratique le mélange des genres. Avec son bandeau pour masquer une blessure à l’oeil, Gracieuse devient une authentique flibustière, une aventurière qui va violer les règles, voler un cheval, s’affranchir toute seule de toute autorité puis voguer vers de nouvelles conquêtes.

Benoît Thevenin

Sport de filles ***

Sortie française le 25 janvier 2012

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