Une vie meilleure de Cédric Kahn (2011)

C’est une constante chez Cédric Kahn, et c’est en cela qu’il est un cinéaste qui nous intéresse beaucoup, cette capacité à s’inscrire dans des registres très balisés mais dont il arrive à s’extraire. Une Vie meilleure est à la fois un film dont la progression narrative est facile à anticiper, un temps seulement, car c’est en mettant en place selon un schéma convenu une mécanique implacable, que Cédric Kahn peut renverser les attentes.
Drame sociale inspiré par la crise des subprimes qui a largement contaminé les économies des pays développés, le film montre un homme simple, en galère, qui pour donner de la matérialité à ses rêves, à son ambition d’une vie meilleure, souscrit des prêts à la consommation. Le crédit aura sa peau, c’est écrit.

Le film commence par une belle scène de drague, spontanée, cavalière, mais qui montre que le personnage de Yann (Guillaume Canet) est du genre à foncer, à aller droit en l’avant. Le temps de l’amour avec Nadia est celui de la naïveté et des projets les plus fous. Ils sont amoureux et dégagent assez d’énergie pour ensemble réussir. Yann se démène et Nadia n’est pas en reste, cumulant son job de serveuse en restaurant le soir avec les travaux à l’intérieur du restaurant que souhaite ouvrir Yann le jour. Le couple ne ménage pas ses efforts pour donner corps à l’ambition de Yann, sauf qu’ils partent de loin et ne versent pas dans la facilité.

Le projet de Yann nait de la découverte d’un chalet abandonné en pleine forêt dans la banlieue parisienne. Il y a tout à faire, sans garantie de succès, et aucun moyen pour financer le vaste chantier qui soudain va l’occuper. Yann ne tourne vers les banques, mais elle ne risqueront pas de s’engager sans un investissement substantiel de sa part. Le banquier l’averti : « ne vous tournez pas vers les établissements de crédit, tout le monde se casse la figure en faisant ce choix ». Yann ne perd pas une minute pour faire le contraire, et souscrit en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, des prêts à la consommation. Autant dire que Yann et Nadia sont rapidement la tête sous l’eau…

Le vocabulaire de la conseillère aux surendettés laisse augurer du destin qui se présente devant Yann et Nadia : « c’est suicidaire », « il ne vous restera plus qu’à vous pendre » dit-elle. L’étau se resserre tellement sur Yann que l’on se dit que c’est inexorable, effectivement, et puis le film va pour l’instant tellement dans le sens de tout ce qui est attendu… Cédric Kahn est cependant bien plus malin que son personnage principal, qui lui fonce tête baissée sans réfléchir, qui ne perd jamais de vue l’idée qu’il va s’en sortir. Et d’ailleurs, il lui met dans les dents à cette conseillère maladroite, « vous ne pouvez pas avoir des mots positifs pour une fois ? ». Yann est en lutte perpétuelle, il se débat, même si complètement à contre courant.

Le film bascule brutalement dans un récit de survie. Il ne sera plus question du restaurant mais de garder simplement la tête au-dessus de l’eau pour ne pas se noyer définitivement. Nadia disparait et Yann se retrouve seul avec Slimane, l’enfant de celle-ci, sur les bras. Quelle autorité peut-il avoir sur lui ? Yann marche sur un fil toujours plus fin et plus tendu. Cédric Kahn parvient à tisser une belle histoire entre  Slimane et son « beau-père », une histoire faire de tension et de complicité. La misère les accable, Yann se retrouve mêlé à des gens peu scrupuleux, bref le tableaux est toujours plus sordide. Cédric Kahn échappe quand même au misérabilisme, tout simplement parce que Yann est continuellement dans le combat et ne lâche rien.

Cédric Kahn n’engagera pas son personnage là où on peut l’attendre. Le cinéaste réserves des surprises, avec notamment cette dernière demi-heure totalement imprévisible, brutale et déconcertante. On peut se dire que rien n’épargne Yann, mais ce n’est pas que ça. Cédric Kahn réussit un film palpitant, car constamment sous pression, dans l’urgence, avec un personnage qui court à perdre l’haleine, mais reprend son mouvement, ne renonce jamais. Par la trajectoire de Yann, Cédric Kahn s’inscrit aussi pleinement dans le contexte sociale actuel, dépeint plusieurs facette de la crise  économique et sociale qui se joue : impuissance des institutions, magouilles, profiteurs, exclus etc. Au final, le faisceau balaie large et Cédric Kahn démontre une fois encore qu’il sait surprendre, qu’il sait emporter ses spectateurs dans un élan tumultueux et violent, et par lequel on finit par être désarçonné.

Benoît Thevenin

Une vie meilleure ***1/2

Sortie française le 4 janvier 2012

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