Drive de Nicolas Winding Refn (2011)

Les deux derniers films de Nicolas Winding Refn avaient largement divisés. L’exubérant Bronson sent trop l’esbroufe même si son pouvoir de fascination est réel. Valhalla Rising en est quasiment l’antithèse, qui propose un voyage singulier, une expérience sensorielle. Le cinéaste Danois réalise avec Drive un film que l’on peut considérer à mi-chemin des deux précédents, et parvient à convaincre cette fois très largement, comme s’il en avait tiré la meilleure synthèse.

On retrouve dans Drive le goût pour la violence du cinéaste, mais le film ne se résume pas tout à fait à ça. Drive a tout pour devenir culte, un héros charismatique mais presque ordinaire, des belles voitures engagées en poursuite, et des accessoires purement fétichistes (blouson signé d’un scorpion doré au dos, allumette au coin de la bouche, marteau, lame de rasoir etc.) qui serviront à garnir l’expo Winding Refn qui immanquablement sera proposée un jour. On a le temps pour ça. Refn n’avait encore que 40 ans tout juste lorsqu’il a présenté le film à Cannes… Il est encore très jeune, mais il laisse de moins en moins indifférent. Le prix de la mise en scène reçu sur la Croisette et le succès du film en salle tendent à prouver que Refn est en train de se tailler vraiment une place, lui qui avait marqué d’emblée avec sa trilogie Pusher (1996-2005).

Drive est un petit bijoux de mise en scène, toujours très fluide (utilisation de travelling et de la steadycam), dans la continuité formelle de Bronson, et tout en tension, sur le modèle de ce qui a été entrepris dans Valhalla Rising. Nicolas Winding Refn réalise une sorte de néo film noir, avec la classique figure de la femme fatale – ici une jeune femme tout à fait ordinaire (Carey Mulligan) qui ne provoque la chute des hommes autour d’elle que malgré elle – mais ce n’est pas le scénario qui fait la richesse du film. Le script est carré et parfaitement conduit. Le cinéaste transcende une histoire simple par une mise en scène tendue, tout en variation et changement de rythme, de part un découpage précis, sans bavure et d’une très grande efficacité. La séquence pré-générique établit d’ailleurs sans perdre de temps, ces promesses adressées au spectateur.

D’abord, une courte scène dans une chambre minuscule et sous éclairée. On a l’impression d’un héros-narrateur qui introduit le récit, conformément au modèle d’une majorité de Films noirs. Il s’agit en fait bien du héros, mais au téléphone, indiquant à son interlocuteur sa façon de travailler.
Ensuite, le héros (Ryan Gosling) récupère une voiture à son garage et s’engage immédiatement dans sa mission nocturne. Nicolas Winding Refn oppose le calme du chauffeur à l’enjeu de la situation. Le personnage n’est jamais nommé dans le film. Il conduit comme on respire. Inspiration, expiration. Inspiration : le chauffeur est calme, tout en contrôle. Expiration : il accélère, lâche les chevaux. Le cinéaste gère à merveille cette mécanique vectrice de la tension qui s’installe sans ménagement.

Les deux compères cagoulés qui rentrent dans la berline du chauffeur, on a pas de mal à deviner qu’ils n’ont pas intérêt à être chopés par les voitures de Police en alerte. Le chauffeur est branché sur leur fréquence, il sait s’ils savent et le spectateur aussi donc, qui penche naturellement en faveur du camp de celui qui est poursuivit. La pression monte quand le deuxième cagoulé prend déjà un temps de retard avant d’embarquer, alors que dans le même instant, les échanges des policiers prévenus d’un braquage raisonnent dans l’habitacle, et le son des sirènes se rapproche. Le conducteur ne cède pas à l’empressement. Il reste maître de la situation et de ses émotions. Une patrouille rôde, il éteint les feux et se range sur le côté de la voie, discrètement. Il reprend la route, toujours tranquillement, et réitère l’exercice face à la menace d’un hélicoptère qui cherche à le traquer. Première accélération, nouveau repos. Plus tard, au feu rouge auquel il s’arrête, il se retrouve face à un autre véhicule de Police. Le face à face est digne d’un western. Le chauffeur sait qu’ils savent. Au vert, il accélère encore. Le bruit du moteur qui vrombit doucement s’oppose à l’enthousiasme du commentateur radio qui décrit la fin d’un match de baseball. La voiture se faufile dans le parking souterrain du stade, comme s’il se jetait dans un étau. Le conducteur a en fait eu l’idée lumineuse de se mêler aux fans sortant du stade. Fin de la séquence.

Le film entier est conçu sur cette idée des montagnes russes. Ryan Gosling incarne un driver presque autant mutique que One Eye dans Valhalla Rising, et sa violence est tout aussi soudaine et abrupte lorsqu’elle nous surprend. La séquence de la chambre de motel est à cet égard saisissante, toujours suivant ce modèle de découpage et ces fulgurantes montées en pression. Le coup de fusil, on ne le voit pas arriver lorsque – et à ce moment là, la tension est déjà forte – le chauffeur menace d’un ton froid et monocorde et en brandissant son index celle (Christina Hendricks) qui l’a attiré dans un piège. Cette séquence là, du braquage foiré, vaut aussi son pesant d’ailleurs, tout comme la course poursuite qui s’ensuit.

Nicolas Winding Refn déroule une partition impeccable, use des ralentis avec une grande intelligence. Ils sont autant de moments où le temps est suspendu, jamais gratuitement, car la retombée est conforme aux lois de la gravité. Quand le temps reprend son court naturel, l’impact est toujours cinglant, brutal, comme en atteste la scène de l’ascenseur. Gosling avec son pied n’est pas moins adroit qu’Albert Dupontel avec son extincteur (cf. Irreversible de Gaspar Noé, 2002).

Et puis au-delà de la leçon de mise en scène qu’il nous inflige, Nicolas Winding Refn n’oublie pas de dresser de jolis portraits. D’une part, il nous livre une galerie de personnages cultes et qui ont tous des « gueules » (Ron Perlman, Albert Brooks, Bryan Cranston), et d’autre part il dessine de très belles relations entre ses personnages les plus positifs. Drive est aussi un film qui a une sensibilité, feutrée certes, qui ne se déploie que pudiquement par une main posée sur une autre ou des regards et des sourires qui en disent long. Chaque personnage, même si sa présence dans l’intrigue est fugace, a assez de consistance pour que l’on s’attache à lui. Refn ne se montre ici pas moins à l’aise pour les scènes dans l’intimité d’une famille que pour les séquences d’action. L’équilibre est très bien tenu et c’est tout le  film qui gagne en subtilité, c’est de là que l’émotion surgit vraiment.

Il semble difficile de ne pas déceler dans Drive la maîtrise d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens et soucieux de ne pas en faire trop, qui ne se laisse pas non plus dévorer cette fois par ses influences (ici on pense volontiers à David Lynch et à Michael Mann) . Le film est parcouru par une force tranquille. Economie de dialogue, économie de plan, le style est direct, la narration aussi, et le cinéaste ne se fourvoie jamais en chemin. On lui reconnait également l’excellence des choix musicaux qui marquent une véritable emprunte sur le film. Il y a les morceaux que Refn a collé à ses images (Kavinski, College), qui impulsent le rythme des séquences, et puis il y a  ces ambiances confiées à Angelo Badalamenti, le compositeur fétiche de David Lynch, justement. Là aussi tout est question d’équilibre et de variation.

Nicolas Winding Refn réconcilie tout le monde, ses fans qui ont pu être déçus par l’un ou l’autre de ses derniers films, ceux de la premières heures, et les nouveaux aficionados pour qui ce film peut-être celui de la révélation. Le cinéaste s’affirme plus que jamais comme doué. Mieux, il ne semble pas céder cette fois à la mégalomanie que l’on pouvait ressentir chez lui précédemment. Drive affiche quand même une véritable assurance, et Refn peut s’en targuer, car c’est cette maîtrise parfaite et de tous les instants qui fait toute la qualité du film.

Benoît Thevenin

Drive ****1/2

Sortie française le 5 octobre 2011

Lire aussi :

  1. Bronson de Nicolas Winding Refn (2009)
  2. Le Guerrier silencieux (Valhalla Rising) de Nicolas Winding Refn (2010)
  3. The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (2016)
  4. Opération Libertad de Nicolas Wadimoff (2012)
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3 commentaires sur “Drive de Nicolas Winding Refn (2011)”

  1. Francois dit :

    Je n’ai entendu que du bien de ce film dans mon entourage. Je viens d’apprendre récement qu’un titre de la BO, « Nightcall », est signé Kavinsky…à mettre sur ma liste 😉

  2. oh oui, fait que tu le vois ! Le film est déjà culte et Kavinsky ne gâche évidemment rien, au contraire. Si on l’entend partout en ce moment, c’est d’ailleurs grâce/à cause de « Drive »

  3. Francois dit :

    Ca y’est, je l’ai enfin vu !
    Je n’ai pas été déçu mais… un poil sur ma faim… Je dis ça avec le sourire car j’ai vraiment accroché à l’ambiance.
    En tout cas bravo pour ta chronique, t’as réussi à mettre les mots sur l’ambiance (le cycle respiration/expiration) que j’ai ressenti sans en être assez conscient pour l’exprimer par des mots. De même que pour la référence à Dupontel, c’est bien vu !

    Par contre, pour ce qui est des accessoires rendant le film culte, j’y ai pensé direct, le coup du blouson m’a rappelé celui des Chivers 😉

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