Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (The Adventures of Tintin: Secret of the Unicorn) de Steven Spielberg (2011)

En l’espace de quelques semaines, deux bandes-dessinées belges parmi les plus célèbres ont été portées à l’écran à Hollywood, Les Schtroumpfs et maintenant Tintin, l’un par un yes man sans aucune conception du cinéma et le second par le maître lui-même du divertissement hollywoodien. Il est impossible de ranger les films l’un à côté de l’autre. Dans les deux cas les afficionados peuvent regretter les infidélités commises à la bande-dessinée originale, mais faire ce reproche à Steven Spielberg pour Tintin est une simple aberration. Raja Gosnell insulte Peyo quand Spielberg rend lui un bel hommage à Hergé et son héros.

Quand une oeuvre emblématique est adaptée au cinéma, le risque pris est toujours de décevoir les fans. Prendre le parti de la fidélité à toute épreuve n’est pourtant pas le meilleur calcul. Les meilleures adaptations sont toujours celle qui aspirent la matière originelle pour mieux s’en émanciper, pour les biens du cinéma lui même, puisque les supports n’ont rien à voir.

Prenez l’exemple de Harry Potter. Il est probable que la majorité des lecteurs de J.K Rowling sont globalement satisfaits par les films qui ont été tirés des livres de la romancière britannique. Les amoureux du cinéma s’y retrouvent-ils eux ? Du point de vue du cinéma, Harry Potter a très peu de qualités à défendre, déçoit largement par rapport au potentiel contenu dans les romans. Avec de véritables parti pris, avec des réalisateurs qui insufflent leur personnalité à leur mise en scène, l’adaptation y gagne souvent. Dans le cas d’Harry Potter, on remarque que le film le plus séduisant est – est-ce un hasard ? – celui qui répond le mieux à cette idée, Le Prisonnier d’Azkaban d’Alfonso Cuarón…

La très bonne nouvelle pour Tintin est alors d’avoir à sa tête un cinéaste qui a une véritable idée du cinéma et du divertissement. Des journalistes européens l’attirèrent l’attention de Spielberg sur les albums d’Hergé dès 1981 et la sortie des Aventuriers de l’Arche Perdue. Le cinéaste a été séduit par les similitudes entre son archéologue et le plus célèbre des reporters belges et c’est finalement très légitimement qu’il peut aujourd’hui s’emparer d’une transposition à l’écran de l’univers d’Hergé que Français et Belges ont toujours été incapables de faire eux même de façon satisfaisante.

Le générique donne déjà magistralement le ton, à la fois dans la lignée de celui d’Attrape-moi si tu peux et qui réussit un habile mélange entre les mondes de Tintin et d’Indiana Jones, sans le  citer directement mais en reprenant des motifs tels les véhicules utilisés par Indy dans ses aventures. On sent comme un passage de relais. Ce générique, par son rythme, nous saisit immédiatement et augure idéalement de ce qui va suivre.

Spielberg va en effet laisser très peu de moments de répit aux spectateurs. Ce Tintin est trépidant, virevoltant et mené tambour battant sur un rythme autant limpide qu’imparable. Le choix a été fait d’un film en motion capture, soit une technologie dont on se rend compte qu’elle a bien progressé depuis que Robert Zemeckis l’a utilisée pour la première fois avec Le Pôle Express en 2004. La conséquence ? L’esthétique de ce Tintin est au plus près de celle d’Hergé, différente bien sûr, mais pas si éloignée de la BD, et moins kitsch sans doute que si le film avait été tourné en prises de vue réelles.

A mesure que Zemeckis testait la motion capture pour son ami Spielberg, on remarquait que, de film en film, on reconnaissait moins les acteurs. Autant Tom Hanks est identifiable dans Le Pôle Express, autant Jim Carrey l’est déjà beaucoup moins dans Le Noël de Scrooge. Ici dans Tintin, il n’y a aucune chance pour que vous reconnaissiez Jamie Bell dans la peau du reporter à la houpette, Andy Serkis en Haddock ou encore Daniel Craig en Rackham le Rouge.

On pourrait aussi dire que le cinéma « à l’ancienne » – s’efface en laissant de maigres traces. Les contributions des acteurs ne se remarquent plus que par leurs voix et leurs mouvements. Si ce n’est pas le cinéma qui s’efface, c’est en tout cas au moins les acteurs, mais ceci parce que la modélisation privilégie la ressemblance avec les dessins d’Hergé, tout simplement.

Au final, par ce procédé de la motion capture, Spielberg en arrive à réaliser son premier film en animation. Son travail de cinéaste évolue mais reste le même finalement. Il envisage toujours la mise en scène en terme de plans, de profondeur de champ, de montage etc. L’animation lui permet aussi dans le même temps de s’affranchir de absolument toutes les limites. Soudain la caméra se libère des lois de la gravité. On ne s’en étonne pas, il y a bien longtemps, avec l’arrivée du digital et le perfectionnement des effets spéciaux, que les lois physiques sont violées par les cinéastes.

Si l’on en fait quand même la remarque, c’est parce qu’ici, cela profite à Spielberg, lequel envisage son film en un seul souffle presque. Il n’y a presque plus de rupture dans l’action, les scènes s’imbriquent dans ce qui est un authentique continuum : une mer devient flaque d’eau de la même manière qu’un fémur peut se transformer en vaisseau spatial dans 2001, l’odyssée de l’espace. Qu’en déduire sinon que plus que toute autre chose Spielberg fait du cinéma mais d’une façon nouvelle, où il est libre de tout et s’amuse franchement. Tout le bénéfice est pour le client, le spectateur, embarqué dans une aventure folle et ininterrompue que Spielberg pondère juste par des changements de rythme opportuns. On ne s’ennuie jamais mais on n’en perd pas l’haleine non plus. Le film est tel un rollercoaster au milieu d’un parc d’attraction et procure son lot de sensations fortes. La longue séquence de course-poursuite en side-car au Maroc est à ce titre un  pur moment de bravoure, une séquence étourdissante qu’Indiana Jones ne peut pas renier.

Le film n’est cependant pas qu’une épopée expédiée en trois temps magistraux. Spielberg respecte complètement Tintin mais il l’actualise, de façon personnelle et en lui rendant hommage. Spielberg invite Hergé à l’intérieur du film, pour une scène maligne dans la séquence inaugurale et qui emporte tout de suite l’adhésion des lecteurs de la BD. Un caricaturiste dessine en quelques coups de crayons le portrait d’un jeune homme, il présente son croquis qui est le visage qu’a donné Hergé à son héros dans ses albums. C’est là le genre de clin d’oeil que Spielberg aime adresser aux spectateurs, comme par exemple dans Indiana Jones et le Royaume du crâne de Cristal lorsqu’au début du film Indy apparait en ombre chinoise sur la porte d’une voiture. On peut y voir la première gourmandise offerte aux fans, telle la promesse de belles retrouvailles.

Dans Indy 4, cette promesse n’est pas tenue, mais dans Tintin si. L’hommage est très respectueux avec des références savamment distillées (les bulles en apesanteur d’On a marché sur la Lune, la traversée du désert du Crabe aux pinces d’or, la jeep de L’Or noir, etc.).  Ce n’est pas tout, Spielberg s’amuse aussi à quelques auto-références qui s’intègrent également très bien (le requin des Dents de la mer, Rackham le Rouge en capitaine crochet dans Hook etc.)

Tintin est ainsi un film ludique et virevoltant, enthousiasmant même, où on retrouve à la fois le Spielberg que l’on aime et qu’on a cru un temps un peu perdu à cause d’Indiana Jones IV, mais aussi le Tintin qui nous a bercé, fidèle au caractère que Hergé lui avait imaginé, intrépide et téméraire. Les autres personnages aussi sont comme Hergé les avait dessiné.  Spielberg n’est certes pas fidèle à un épisode unique, mais il est fidèle à un univers entier, et c’est bien la seule chose qui compte en la matière. Les seules différences potentiellement gênantes viennent de la V.O, très bonne, mais où « Tine-tine » et son fidèle Snowy pénètrent Marlinspike Hall (Le Chateau de Moulinsart), où Dupont et Dupond sont là Thomson & Thompson et où les jurons de Haddock n’ont pas la même saveur. Il faut alors prendre le parti de voir le film en VF sinon accepter cet état de fait qui n’a quand même rien de rédhibitoire et ne gâche pas grand chose.

En tous les cas, Tintin reviendra tôt ou tard  sur les écrans puisque Spielberg et Peter Jackson ont imaginé ensemble une trilogie. Peter Jackson devrait réaliser une suite – mais après son adaptation en deux volets de Bilbo le Hobbit prévue pour Noël 2012 et Noël 2013 – qui s’intitulera Le Temple du Soleil… et l’on se dit, au regard de Lovely Bones ou des travers dans lesquelles verse Le Seigneur des anneaux, qu’il est heureux que Spielberg ait fixé si brillamment les bases de cette nouvelle franchise.

Benoît Thevenin

Les Aventures de Tintin : Le secret de la licorne ****1/2

Sortie française le 26 octobre 2011

Lire aussi :

  1. Arrête-moi si tu peux (Catch me if you can) de Steven Spielberg (2003)
  2. La Guerre des Mondes (War of the Worlds) de Steven Spielberg (2005)
  3. Indiana Jones et le Royaume des Crânes de cristal de Steven Spielberg (2008)
  4. Le Terminal (The Terminal) de Steven Spielberg (2004)
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4 commentaires sur “Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (The Adventures of Tintin: Secret of the Unicorn) de Steven Spielberg (2011)”

  1. Axel(ito) dit :

    Un film que je vais voir ce lundi avec mon Papa qui m’a fait découvrir les Tintin. On le verra en VF. Tu ne parles pas du rendu 3D, comment Spielberg s’en sort-il ?

  2. Stan To dit :

    C’est de le performance capture et non de la motion capture. De plus, si l’on en croit les oscars, ce n’est pas un film d’animation, mais un film en prise de vue réelle.

    Voir cette article: http://www.toutlecine.com/cinema/dossiers/0000/00005300-tintin-et-la-performance-capture.html

  3. A ma connaissance, la différence entre Motion Capture et Performance Capture tient au fait qu’avec la Performance Capture, sont saisies les expressions du visage, l’expressivité des acteurs qui se prêtent au jeu et pas seulement les mouvements de leur corps. Ainsi, dans le cas de « Tintin », les frontières sont on ne peut plus floues, du moins dans la mesure ou on ne reconnait pas les acteurs.

    Par ailleurs, bien que Tintin ne soit pas stricto sensu un film d’animation, je m’en explique dans le texte. Là aussi, on joue sur les mots. La frontière entre animation et prise de vues réelles est là aussi très floue, et d’ailleurs, puisqu’on ne reconnait pas les acteurs, ils en sont réduit presque uniquement à un travail de doublage. Ca ne suffit pas à dire que le film est un film d’animation – il n’en est pas un – mais il s’en rapproche

    @Axelito. J’ai vu quelques extraits en VF, je la trouve affreuses. En revanche, entendre Tinetine etc., ça ne m’a pas gêné.
    La 3D ? Je n’y vois toujours aucun intérêt, mais elle est plus subtile que tous ces films ou l’on te jette des objets à la figure pour avoir une impression de 3D.

  4. selenie dit :

    Une chronologie un peu chamboulée (entre 3 BD)… Si je n’ai personnellement pas été franchement ébloui c’est d’abord parce que je n’ai jamais été très fan de la BD… Ce qui n’empêche pas d’être honnête et de trouver que spielberg a fait du très bon boulot. Voilà un film, enfin, qui devrait réconcilier les spectateurs de 7 à 77 ans. 3/4

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