Happy End de Michael Haneke (2017)

Happy End

Cannes 2017 / En compétition

A Calais, le malheur n’appartient pas qu’aux plus pauvres. Si Michael Haneke a choisi la sous-préfecture des Hauts-de-France pour cadre, le sort des migrants de la jungle de Calais n’est a priori pas son sujet. Ils ne font guère partie que du décor. Le cinéaste autrichien, fidèle à ses préoccupations, s’attache en revanche a décrire avec acuité les ressors des dysfonctionnements au sein d’une famille de la bourgeoisie calaisienne (semble t’il) bien sous tout rapport. Une famille aveugle au sort des plus malheureux. Une famille également sourde aux douleurs en son sein.

Le film raconte la rencontre entre Eve, une adolescente de 13 ans très mal dans sa peau, et George, son grand-père veuf et octogénaire qui – comme ce qui est de fait un prolongement aux questions soulevée par Amour, dernier long-métrage d’Haneke en 2012 (Palme d’Or), avec le même acteur, Jean-Louis Trintignant – souhaite en finir avec la vie.

La séquence qui précède le générique ne manquera pas de provoquer immédiatement la stupeur parmi les spectateurs. Intéressés par « les nouvelles images », Haneke introduit le film par celles d’un téléphone portable, et même plus précisément par une retransmission live sur les réseaux. La stupeur est ressentie par les messages qui s’affichent sur la vidéo, des messages qui sont ceux de la personne qui filme, des messages mortifères et inquiétants qui ne peuvent venir que d’un adolescent déglingué. La jeune Eve, du haut de ses 13 ans, est ainsi rapidement identifiée comme une cousine éloignée de Benny, l’adolescent fan de vidéos d’exécution d’animaux dans Benny’s video (1992), ou même des jeunes tortionnaires de Funny Games (1997). Entre l’adolescente perturbée et le grand-père fatigué, l’attraction n’est pas nécessairement évidente. Il faudra du temps pour que les secrets de l’un et de l’autre ne se rencontrent. Entre ses deux personnalités troublées, les autres membres de la famille affrontent chacun des situations difficiles face auxquelles ils sont presque seuls, livrés à eux même (le fils qui rejette de plus en plus l’autorité de sa mère (Isabelle Huppert) ou encore Thomas (Mathieu Kassovitz), le père d’Eve, divorcé de la maman, en couple avec une jeune femme un peu à la marge de la famille (Anaïs/Laura Verlinden) mais qui se prête dans le plus grand secret au jeu d’une correspondance érotique et perverse)

Dans cette famille que décrit Haneke, tous les individus semblent en souffrance, mais aucun n’a les clés pour décrypter celle de l’autre. Chacun vit son malheur sans pouvoir en parler aux autres, sans réussir à émettre de signaux. Ce qu’Haneke démontre ainsi, c’est la froide imposture des êtres qui, au sein de cette famille bourgeoise, ne se regardent pas, ne se comprennent pas, pêchent par égoïsme forcené et se complaisent dans des apparences qui masquent mal l’indifférence absolue aux malheurs d’autrui, d’autant plus quand il s’agit des migrants qui passent tout près dans la rue. Le message qu’Haneke veut alors sans doute faire passer, sur un ton cynique et sentencieux, c’est qu’il ne faut pas compter sur ceux qui ont tout et qui vivent bien pour régler les malheurs du monde.

B.T

Lire aussi :

  1. Funny Games de Michael Haneke (1997)
  2. Benny’s video de Michael Haneke (1992)
  3. Funny Games U.S. de Michael Haneke (2008)
  4. Amour de Michael Haneke (2012)
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