Red Amnesia de Wang Xiaoshuai (2014)

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L’amnésie évoquée dans le titre, c’est celle de cette « Nouvelle Chine » tournée vers le capitalisme et l’économie mondialisée, individualiste et oublieuse d’un passé douloureux. Deng, grand-mère septuagénaire récemment veuve, est de ceux qui ont subi et ont été façonnés par la Révolution Culturelle maoïste. Elle en demeure le témoin vivace mais vacillant. Dans son entêtement à envahir et vouloir organiser le quotidien de ses deux fils, il y a l’idée d’une femme dépourvue de conscience individuelle, qui ne conçoit pas la notion de repos, et dont le sacrifice de sa personne est constitutif de son mode de vie.

A travers le portrait de cette dame digne et hyperactive, qui marche en rythme dans la rue lorsqu’elle entend un choeur entonner de vieux chants maoïstes, Wang Xiaoshuai clôt une trilogie entamée avec Shanghaï Dreams (2004), poursuivi avec 11 Fleurs (2011), par laquelle il raconte le traumatisme causé par la Révolution culturelle sur le peuple chinois.

Deng vit en décalage avec les réalités de la « Nouvelle Chine », que ses deux fils représentent chacun à leur manière. L’ainé est converti au libéralisme et vit dans un appartement luxueux avec femme et enfant. Le cadet vit prostré sur lui même, marginal, assumant mal une homosexualité que sa mère réprouve. Deng est d’autant plus désorientée qu’elle s’inquiète du harcèlement dont elle commence à être la victime.

Le film va bien au delà du portrait sensible et mélancolique de cette vieille dame. En convoquant littéralement le fantôme de son défunt époux, avec lequel elle converse quand elle est seule à table chez elle, le cinéaste illustre autant la personnalité de son héroïne, hantée par son passé, qu’il induit un doute sur sa santé mentale.

Ainsi, dans un premier temps, il n’est pas tellement certain que les appels mystérieux qu’elle reçoit et qui la troublent sont, ou non, le fruit de son imagination. Quand la menace se précise, les ambiguïtés narratives se déplacent sur d’autres terrains, principalement sur celui de la culpabilité dont on devine qu’il ronge le personnage, sans qu’on en saisisse l’origine.

Entre chronique sociale et thriller, Red Amnesia rend compte des terribles blessures infligées par la révolution maoïste au peuple chinois. Le film montre, par petite touches subtiles, et par le parcours intime d’une vieille dame qui revient sur les traces de son existence, à la fois le tiraillement que subit la société actuelle, entre amnésie collective et résurgence du passé, mais aussi le prix payé par les générations anciennes. Le film met ainsi en scène l’impitoyable fracture entre les époques, la douleur incurable infligée aux plus vieux, condamnés à ne pouvoir se réconcilier avec eux même et derniers témoins d’un passé lointain que les plus jeunes s’évertuent à vouloir oublier.

B.T

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