Le Grand soir de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2012)

L’un des plus grands moments du festival de Cannes 2012 aura été la présentation  du Grand Soir, le nouveau film Gustave Kervern et Benoît Delépine, sélectionné à un Certain Regard. On peux toujours compter sur ces deux trublions (qui sont bien plus que deux trublions) pour mettre le feu à une institution habituée aux discours guidés et polis.

Pour leur cinquième long-métrage ensemble, toujours réalisé avec une véritable ambition de cinéma et dans un style singulier et efficace, les deux compères ont eu la brillante idée de réunir à l’écran Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel, deux des comédiens les plus libres et les plus fous dans le paysage cinématographique français.

Benoît Poelvoorde, révélé en 1992 par C’est arrivé près de chez vous, est un véritable compagnon de route du duo Kervern/Delépine. Il est issu du même giron qu’eux, passé grâce à Monsieur Manatane par la case Canal + au milieu des années 90, alors qu’eux se sont fait connaitre à peu près à la même époque sur la même chaîne, alors réputée anticonformiste, dans les émissions groslandaises.

Albert Dupontel, l’humoriste cynique est devenu un réalisateur inventif et barge. Il trouve légitimement sa place dans leur univers, comme en témoigne sa réalisation Enfermé Dehors (2006), un film qui préfigure exactement les Louise-Michel (2008), Mammuth (2010) et maintenant Le Grand Soir, les trois derniers films de Kervern et Delépine.

La réunion de Poelvoorde et de Dupontel sous la caméra de ces deux là, est l’évidence même tant ils partagent le même humour noir, le même cynisme, la même passion pour les marginaux, et la même vision anarchique de la société.

Ce duo ne pouvait que faire des étincelles. L’un (Poelvoorde) incarne un vieux punk, un vagabond qui rejette tout de la société de consommation. L’autre, Dupontel donc, joue le rôle de son frère, un mec simple et rangé, qui a une famille et occupe un modeste poste de vendeur dans une literie implantée en plein coeur d’une zone commerciale. Les deux frères ne partagent rien. Leur vision du monde s’opposent en tout point. Et pourtant, Jean-Pierre le conformiste va progressivement glisser pour basculer dans le même monde que Not l’anarchiste punk.

La soif de révolution des personnages trouve évidemment ses racines dans le contexte de la crise économique et d’une France encore sous présidence Sarkozy lorsque le film a été réalisé. La critique de la société qu’il établisse n’a rien d’une posture et ne relève d’aucune prétention. Les deux cinéastes dégomment tout à force d’enchaîner des séquences, la plupart hilarantes et qui épinglent successivement tous les petits maux, toutes les petites lâchetés dont nous sommes tous coupable. Féroce et corrosif, Le Grand soir frappe souvent juste mais ne se désespère jamais de ce qui fait la singularité de chaque personnage, peu importe le camp auquel il appartient. La folie du film est constante, décapante, mais salutaire et jubilatoire.

Le film est d’autant plus fort qu’il tient toujours la route, ne se limite pas à une succession de sketchs. Les séquences s’équilibrent au contraire très bien, de sorte que jamais le film ne s’épuise où ne nous épuise. Kervern et Delépine portent une sommes d’idées toutes plus réjouissantes les unes des autres et leur humour, pour ceux qui y goutent, fait constamment mouche.

Généreux et audacieux, simple et toujours respectueux des uns et des autres, Le Grand soir est bien plus qu’un super film de bande. Le Grand soir témoigne d’un gigantesque appel d’air, que les élections récentes ont justement validé. Le film offre même à lui tout seul cet immense bol d’oxygène dont on est beaucoup à avoir besoin. Kervern et Delépine ont le rire salvateur.

Benoît Thevenin

Le Grand soir ****

Sortie française le 6 juin 2012

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2 commentaires sur “Le Grand soir de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2012)”

  1. Francois dit :

    Sur ma liste des films à voir rapidement ! hâte de lire ton compte rendu dès que ce sera fait :)

  2. dasola dit :

    Bonjour,
    Je suis contente de constater que des blogueurs apprécient ce film autant que moi. Personnellement, j’ai trouvé que le duo Dupontel/Poelvoorde fonctionnait bien. J’ai aimé l’empathie que les réalisateurs ont pour tous les personnages. Et ce n’est jamais vulgaire. Bonne après-midi.

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