Walkyrie (Valkyrie) de Bryan Singer (2008)

« Comment tu descends le Diable d’une balle dans le dos ? Si tu le rates, il se passe quoi ? ». Cette double interrogation est posée par Verbal Kint (Kevin Spacey) dans Usual Suspects (1994), le film qui révéla Bryan Singer.

Le cinéaste américain exploite depuis quinze ans un registre qui trouve un aboutissement logique avec Walkyrie. Le cinéma de Bryan Singer, son cinéma personnel autant que son travail hollywoodien sur lequel il a jusqu’alors su imposer sa patte, tourne autour d’une obsession simple : le mal, son incarnation (Whiley Pritcher dans Public Access, Keyser Soze dans Usual Suspects, Kurt Dussander dans Un Eleve Doué, Magneto dans X-Men, Hitler dans Walkyrie) , son orchestration, sa contamination (plus spécifiquement dans Un Elève doué). Bryan Singer est un cinéaste malin, un cinéaste quelque peu conspirateur et qui apprécie les scénarii machiavéliques. Walkyrie incarne parfaitement tout ce schéma.

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Walkyrie n’est vraiment pas anodin dans le parcours de Bryan Singer. Preuve supplémentaire de l’aboutissement que représente déjà ce film, la réunion des principaux collaborateurs du cinéaste, ceux qui l’ont accompagné pour l’essentiel à ses débuts. Ils ne sont pas juste des collaborateurs, ils sont des associés qui ont une prise essentielle sur le caractère personnel des films de Bryan Singer. Il est important, pour décrypter le style de Bryan Singer, de s’intéresser à ces collaborateurs essentiels : Christopher McQuarrie au scénario, John Ottman à la fois monteur et compositeur, et enfin Newton Thomas Sigel pour la photographie. Tous définissent le cinéma de Singer, de la même manière qu’il peut être difficile de dissocier John Williams et Janucz Kaminski de Spielberg, ou encore Thelma Schoonmaker et Dante Ferretti de Scorsese.

Dans l’imaginaire collectif moderne, Adolf Hitler est le représentant même du Mal absolu. Les racines du mal chez les autres personnages diaboliques de Bryan Singer se trouvent souvent dans le Nazisme. Kurt Dussander est le responsable de milliers de morts juifs du camp de concentration de Patin. Erik Magnus Lehnsherr se découvre des pouvoirs lors de sa propre intégration à un camp de concentration. Il deviendra plus tard Magneto. Quand à Keyzer Soze, bien que ses origines soient hongroises, la consonance de son nom renvoie à l’Allemagne (Kaiser = empereur).

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Tous les chemins mènent donc à Hitler. Et la question qui va obséder le Colonel von Stauffenberg est bien celle que posait Verbal. Comment tuer le Diable d’une balle dans le dos ? Et que faire ensuite ? Le film est inspiré par un fait historique. Le Comte von Stauffenberg, colonel de l’armée Nazie, est obsédée à l’idée d’abattre son leader. Comment dès lors organiser un complot en faisant partie intégrante d’un régime ultra autoritaire et verrouillé de partout, en apparence ? Un climat de défiance existe pourtant au sein des Etats-majors et les plans du colonel sont suivis. L’idée est d’abord d’abattre Hitler, simplement. Rapidement se met en place un raisonnement théorique qui est fondamental. Si Hitler décède, il est nécessaire de s’emparer du pouvoir, de renverser la tyrannie, c’est à dire de se débarrasser de tous les conseillers d’Hitler. Sinon, un autre fou pourrait s’emparer des clés du pouvoir. Ce qui est en jeu, c’est la destruction totale d’un régime.

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Le film se déroule d’abord sur deux temps. Une première tentative d’attentat est mise en place qui va échouer. Le récit se concentrera ensuite sur la seconde. Ce qui est frappant, et remarquable même dans ce film, c’est comment Bryan Singer arrive a mettre en place des situations de tension, de suspens, par le seul jeu de sa mise en scène, du découpage, du montage et du son. Le travail sur le son réalisé par John Ottman est ici encore particulièrement efficace.

Ceci tranche un peu avec quelques autres films de Singer. Usual Suspects et Un Elève doué sont deux films de confrontation pure, et quelque peu bavards au final. Walkyrie se différencie par une économie de dialogue légitime, joue sur le registre de l’esquive plutôt que l’affrontement. Le complot nécessite une attention de tous les instants, des précautions. Nous somme là dans les coulisses de l’orchestration de la conspiration. Les desseins du diable (Stauffenberg est le Diable d’Hitler, de la même manière qu’un résistant et vu comme un terroriste selon le camp ou l’on se range) sont en train de se mettre en place. Le suspens est parfaitement ressenti.

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Reste que le film est un brin trop manichéen et c’est un comble. Précédemment, Bryan Singer à toujours réussi a étendre le champs du mal au delà de son incarnation par un personnage bien défini. La contamination étaient très claire dans Un Elève doué, mais l’ambiguïté est latente dans chacun de ses films. Ce refus de l’ambiguïté dans Walkyrie finit par être trop confortable et nuit quelque peu au film. On a en tête un exemple récent, et qui bizarrement prends corps dans le film à travers ce personnage secondaire totalement accessoire de l’épouse de Stauffenberg.

Elle est joué à l’écran par Carice van Houten, l’exquise beauté révélée par Paul Verhoeven dans Black Book. Le film, qui évoquait là aussi une conspiration en cours contre les intérêts nazis, était habile dans sa façon de tordre la question du mal. Black Book est au-delà des simples ambiguïtés, c’est un film ou les répères moraux sont radicalement remis en cause. Paul Verhoeven a cette perversité là que Bryan Singer n’a pas. Pourtant, de films en films, on sent que ça l’intéresse, mais il ne va pas jusque là.

Appliqué à Walkyrie, c’est finalement assez dommage car le film parait relativement sage et consensuel. Peut-être faut-il y voir là l’influence de Tom Cruise, puisque le film est à son initiative. Dans son jeu, il est parfait de sobriété, son charisme est intacte, mais son personnage finalement trop lisse, autant celà aidera à lui favoriser une bonne image aux yeux du grand public, autant celà nuit donc un petit peu au film.

Benoît Thevenin


Walkyrie – Note pour ce film :
Sortie française le 28 janvier 2009

Lire aussi :

  1. Superman Returns de Bryan Singer (2006)
  2. Serbis de Brillante Mendoza (2008)
  3. Parque Vía d’Enrique Rivero (2008)
  4. Tulpan de Sergey Dvortsevoy (2008)
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Aucun commentaire sur “Walkyrie (Valkyrie) de Bryan Singer (2008)”

  1. Vlad dit :

    Coucou,

    J’attends avec impatience ce « Valkyrie » qui est mon attente de ce mois de janvier. Déjà que j’ai raté pas mal de film avec mon taf (le seul que j’ai eu la chance de voir c’est la première partie du che – j’espère voir la suite bientôt-) alors j’espère que celui ci je pourrais le voir. En plus j’aime beaucoup Bryan Singer et Tom Cruise 😛

    Vlad

  2. Foxart dit :

    Quoique j’en lise ici et ailleurs j’ai très envie de voir ça…
    Pour Tom Cruise, qui, quoiqu’on en dise est un excellent acteur, pour ce sujet passionnant et pour Singer aussi, tout de même…

  3. Eric dit :

    A mon sens, ce très bon « Walkyrie » manque un poil de coeur et d’émotion; cela est dû, en partie, au sacrifice du personnage de la comtesse Stauffenberg incarné par Carice Van Houten, qui n’a pour elle que trop peu de séquences. Dans l’une de ces belles séquences, Stauffenberg observe l’une de ses filles en uniforme jouer à faire le salut hitlérien, et comprend, à travers ce geste, tout ce qu’il peut offrir de liberté à ses enfants en réussissant son complot contre Hitler : tuer le Führer, c’est annuler à jamais l’effet du salut nazi. Le film manque de ce genre de scène. Il manque aussi d’engagement, comme tu le soulignes : c’est la limite de Bryan Singer qui, tout en pouvant se targuer d’être un excellent metteur en scène, n’est pas, et ne peut pas être, Paul Verhoeven (car oui, on aura tout à fait le droit de comparer, dans une certaine mesure, la puissance politique de « Black Book » avec la platitude idéologique de « Walkykrie »).

    Dernière chose : cela me choque de lire et d’entendre, surtout venant de journalistes spécialisés en cinéma, des critiques à l’égard de Tom Cruise et de son prosélytisme encombrant. Que vient faire une biographique scientologue de Cruise dans les articles consacrés au film? Que l’homme se soit marginalisé avec le temps, certes oui. Qu’il ait perdu en popularité à cause de son engagement pseudo-mystique, encore oui. Mais que pour autant Cruise soit devenu mauvais acteur, sous prétexte qu’il serait désormais un « mauvais homme », certes non.

  4. Benoît Thevenin dit :

    Je suis entièrement d’accord avec toi Eric.

    Concernant Carice van Houten c’est mon grand regret sur ce film. Elle n’a un rôle finalement qu’anecdotique. Il n’était pas question de s’encombrer d’une romance, et heureusement que non d’ailleurs, mais donner de la profondeur à ce personnage aurait peut-etre donner de la profondeur au récit lui même. mais je crois que Bryan Singer à du mal à donner de la consistance à ces personnages féminin. Ils sont presques inexistants dans sa filmographie indépendante du moins, car X-Men et Superman sont un peu différent de ce point de vue. Ce sont tous des films d’homme en tout cas, ou les hommes sont entre eux et les femmes à l’écart.

    Concernant Tom Cruise, j’avoue n’avoir rien lu autour de ce film, je ne sais donc que par le bouche à oreille ce que tu racontes là. Pour moi Tom Cruise est un acteur formidable, que j’ai encore adoré dans Lions et Agneaux et qui m’a bluffé dans Tonnerre sous les tropique. Et dans Walkyrie je le trouve admirable aussi. C’est toujours le même problème : confondre les personnages de fictions avec ceux qui les incarnent (ou les écrivent). C’est juste ridicule. En tant qu’acteur, Tom Cruise est une pointure.

    Pour Walkyrie, en revanche, je crois que l’inluence de Tom Cruise (producteur soucieux de polisser son image cinématographique – ce que nombres d’acteurs-producteurs font en s’accordant les beaux rôles), nuit un petit peu au film qui du coup n’a effectivement pas le vice de verhoeven. J’aurais apprécier un personnage plus nuancé encore, plus ambivalant. C’est dommage à mon avis mais Walkyrie reste un super film, on est d’accord 😉

  5. benjamin F dit :

    Oui vraiment étrange que Bryan Singer n’ait pas poussé plus loin la thématique du mal. Un film un peu raté (ce fameux manque d’émotion) mais qui reste troublant.

    A+
    Ben
    http://www.playlistsociety.fr/2009/01/walkyrie-de-bryan-singer-710.html

  6. Eric dit :

    Un ultime mot sur Cruise : je pensais tout particulièrement à un texte paru dans un hebdomadaire que je lis régulièrement, et dans lequel la journaliste opérait une biographie éclair du comédien, en regard de ses succès et de ses échecs publics. Elle mettait en exergue le fait que Cruise tendait à se moquer de son propre corps et à le soumettre à diverses tortures et atrophies (comme dans « Vanilla Sky » ou « M:I ») et que cela nuisait à sa carrière d’acteur en ce qu’il gênait ainsi son public le plus jeune (et le plus féminin, sans doute). Elle soulignait également une correspondance entre les activités de plus en plus prosélytes de Cruise et une vague de succès moindres au box office (l’époque de « M:I3″, que pour ma part je considère comme un grand, grand film), laissant délibérément de côté toute considération critique de l’oeuvre elle-même pour privilégier son impact public. Quelle stupidité. Cela en revient à juger le jeu d’acteur de Cruise en regard de 1) ses convictions spirituelles, et 2) la courbe de son audience publique. Et pourquoi ne pas décréter que le bandeau de borgne porté par Stauffenberg dans « Walkyrie » symbolise l’aveuglement progressif de l’acteur face à des fans toujours plus déroutés?? Tant qu’à produire de la théorie aporique, allons-y à fond !

  7. coming soonn dit :

    j’ai été agréablement surprise d’aimer ce film (malgré ses défauts). Dommage notamment de l’avoir tourné en anglais.

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