Soleil trompeur (Утомлённые солнцем) de Nikita Mikhalkov (1994)

Trois ans après Urga, Lion d’or à Venise en 1991, Nikita Mikhalkov a plus que jamais la cote. Il débarque en compétition au festival de Cannes avec Soleil Trompeur, ambitieux film avec lequel il s’attache à liquider une bonne fois pour toute le mythe de la grandeur Stalinienne.

Mikhalkov incarne lui-même un ancien colonel héros de la révolution d’Octobre 1917. Il s’est retiré avec sa famille dans sa Datcha, sa maison de campagne, loin de Moscou et le temps de quelques jours. Le Colonel Kotov est un personnage éminemment respecté et qui continue de faire autorité malgré sa retraite. Lorsque les chars d’assaut staliniens déboulent et commencent d’écraser les champs, les paysans s’opposent et l’un deux ira chercher le Colonel Kotov car lui seul peut stopper véritablement la progression des monstres de fer.

La tranquillité autour de Kotov est un leurre, le premier des mensonges que suggère le titre français. Les premières scènes autour du Colonel révèlent une exhubérance typique de la Russie. Il y a là un charme, une innocence et une énergie qui ne laissent aucun espace pour se représenter l’idée que des évènements atroces se déroulent exactement dans le même temps, c’est à dire dans les années 30 à l’époque des Grandes Purges quand tous ceux désignés ennemis du peuple par le pouvoir étaient déportés dans les Goulags ou assassinés.

Mythia, un jeune homme qui dès années auparavant a aimé l’épouse de Kotov (Maroussia), débarque soudainement et innocemment. Mythia travaille pour le NKVD, la police secrète de Staline, et il a pour ordre d’arrêter Kotov. Il ne dit rien du véritable objet de sa présence, et s’impose peu à peu auprès de tous, parle avec Kotov, retrouve Maroussia, s’amuse avec les enfants du couple. Pendant ce temps là, une voiture officielle est rangée à l’écart. Les collègues de Mythia attendant patiemment que ce dernier ramène celui qu’ils sont venu chercher.

Derrière l’innocence et la légèreté des images que l’on voit se dissimule donc une réalité redoutable et violente. Kotov, pas si naïf, comprend la vérité de la présence de Mythia, mais se met d’accord avec lui pour rester auprès des siens toute la journée et les préserver encore de l’horreur qui les attend.

A divers instants du film, un soleil traverse les images. Il s’agit du soleil de la révolution, celui là même qui a brûlé toutes les victimes des purges auxquelles Soleil trompeur est dédié in fine. Le titre original se traduit d’ailleurs par «brûlé par le soleil» pour une signification en fait plus explicite que le titre d’exploitation française. Ce dernier met quand même l’accent sur les mensonges sous-jacents qui contaminent et dévorent la bonne ambiance du début.

En 1994, Soleil Trompeur est le premier film anti-soviétique – le premier qui a eu un retentissement mondial du moins – à être produit dans la Russie post communiste. La charge est cependant assez subtile, l’opposition entre les deux personnages principaux ne se révélant définitivement que dans une scène impressionnante vers la fin, ou Kotov solde ses comptes avec Mythia et le renvoie à sa propre trahison. Là, le film prend effectivement tous son sens, par rapport au reste du contenu, faussement léger (une montgolfière hissant le ciel un portrait de Staline menace) mais attendrissant (Nadejda, la propre fille du cinéaste, est irrésistible de douceur). Il y a alors, dans l’affrontement entre Kotov et Mythia, une véritable rupture, un basculement brutal. Ce moment est symptomatique de l’insécurité qui prévalait à l’époque. Personne n’est épargné par le Stalinisme, pas même ce héros de la révolution bolchévique que l’on va chercher jusque dans sa retraite paisible auprès des siens.
A Cannes, le film reçu le Grand Prix, ex-aequo avec Vivre ! de Zhang Yimou (la Palme étant attribuée cette année là par le jury coprésidé par Clint Eastwood et Catherine Deneuve, à Quentin Tarantino et Pulp Fiction). Quelques mois plus tard, Mikhalkov sera récompensé à Hollywood par l’Oscar du meilleur film étranger.

Benoît Thevenin

Filmographie de Nikita Mikhalkov :

1974 : Un étranger parmi les amis
1976 : Esclave de l’amour
1976 : Partition inachevée pour piano mécanique
1979 : Quelques jours de la vie d’Oblomov
1980 : Сinq Soirées
1981 : Family Relations
1983 : Sans témoins
1987 : Les Yeux noirs
1991 : Urga
1992 : Anna 6-18
1994 : Soleil trompeur
1998 : Le Barbier de Sibérie
2007 : 12
2010 : Soleil trompeur 2


Soleil trompeur – Note pour ce film :

Sortie française le 31 août 1994

Lire aussi :

  1. Soleil Trompeur 2 – L’Exode (Utomlyonnye Solntsem 2: Predstoyanie) de Nikita Mikhalkov (2010)
  2. Urga de Nikita Mikhalkov (1991)
  3. Pulp Fiction de Quentin Tarantino (1994)
  4. La Jeune fille et la mort (Death and the maiden) de Roman Polanski (1994)
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