Gainsbourg (Vie héroïque) de Joann Sfar (2009)

« Vous avez lu l’histoire de Jesse James ? Comment a-t’il vécu, comment est-il mort ? Ça vous a plus hein ! Vous en d’mandez encore. Et bien écoutez l’histoire de… »

Les biopics nous parviennent en pagaille, de tous les horizons, et on commence à en avoir relativement assez. Les recettes deviennent de plus en plus éculées, et le schéma narratif de Ray, qui est aussi celui de Walk the line ou La Môme, on l’a depuis un moment assimilé. Un film à propos de la vie de Gainsbourg, on avait toutes les raisons d’en mesurer nos attentes.

Le projet a été confié à Joann Sfar, auteur de BD réputé qui affutes directement ses armes cinématographiques avec cet ambitieux métrage. Mais après tout l’idée va presque de soi. Gainsbourg lui même faisant partie de ses artistes touche-à-tout, offrir à Joann Sfar l’opportunité de mettre en scène Gainsbourg s’avère après coup parfaitement légitime.

Sfar a mis beaucoup de sa sensibilité, faisant de Gainsbourg (Vie héroïque) un film personnel qui échappe en partie à tout formatage. Au début on a un peu peur de se retrouver justement dans un biopic ultra classique avec l’enfance troublée de l’artiste comme point de départ d’une trajectoire brillante et perturbée et finalement tragique. Le jeune acteur qui incarne Serge enfant n’est pas forcément très convaincant mais Sfar puise dans son imaginaire pour injecter une véritable originalité au film. La réussite de ce Gainsbourg tient d’abord à cette idée de fabriquer un double imaginaire qui vient hanter le chanteur et le transcender aux moments a priori décisifs de sa vie. Sfar arrive assez bien à rendre compte de cette complexité là de Gainsbourg, cette timidité et ce caractère complexé qui le bouffe en même temps qu’il est capable de toutes les audaces.

Ce qui fait la qualité de certains biopics, c’est sans doute d’abord la manière que les réalisateurs parviennent à faire coïncider leurs films, leurs parti pris de mise en scène, avec la personnalité même des héros (ou anti-héros) dont ils font le portrait. C’est ce que Todd Haynes avait magistralement réussit avec I’m not there pour évoquer la vie de Bob Dylan, d’autant que Dylan est lui toujours sur scène à promener sa légende.

Sfar n’a pas réussit, ou pas voulu, rendre compte vraiment de qui était Gainsbourg. Le portrait est celui d’un rêveur, d’un poète maladroit et génial, ce que Gainsbourg était sans doute en partie. En revanche, son côté insurbonitateur, le fait qu’il échappe à tout carcan, si c’est évidemment évoqué à l’intérieur du film, ne transparaît pas dans le style et c’est fort regrettable. Sfar prend des risques à construire sa biographie en opposant Gainsbourg à son double imaginaire. Le public adhèrera à ce principe, ou pas, et avec de forte chance quand même pour que cela déçoive une partie de l’audience qui n’y serait pas préparé et peut-être même réfractaire. En tout cas, cette idée là, excellente et qui fait la grande originalité du film, ne suffit pas à faire de Gainsbourg (Vie héroïque) un film en accord avec le provocateur incontrôlable qu’était Gainsbourg, qui lui vaut autant une partie de sa légende qu’une partie du rejet, du dégoût qu’il sacralise encore aujourd’hui.

Le réalisateur assume cependant clairement ce choix d’un métrage porté sur l’onirique. Gainsbourg (Vie héroïque) est présenté comme un conte, pas un film. Le conte est d’ailleurs énoncé par Serge enfant : l’histoire d’un homme qu’on croise et qu’on ne regarde pas, dont la tête grossit à mesure qu’on lui dit qu’il a une sale gueule… Cette histoire est un peu celle que l’on connaît de Gainsbourg, une personnalité qui s’est aussi construit en réaction à toutes sortes d’injustices.

Pour autant, Joann Sfar définit plus volontiers Gainsbourg à travers les femmes de sa vie et c’est finalement la grande limite du film. Ce que Scorsese à réussit avec Howard Hughes et ses innombrables conquêtes starifiées dans Aviator, Sfar n’y parvient pas. Gainsbourg (Vie héroïque) se résume finalement à un défilé des égéries de Gainsbourg, de telle manière que à côté de lui, les deux seuls personnages qui l’accompagne vraiment tout le long, ce sont ses parents. Cela pourrait traduire la nature profondément solitaire de Gainsbourg mais la démarche est maladroite et on en revient fatalement à ce sentiment bien réelle que les femmes (et les actrices) défilent, qu’elles n’ont qu’une influence très limitée sur le chanteur. C’est une vraie limite au film car on se rend compte que ces figures féminines n’ont jamais le temps d’être développée. Aucune ne s’impose à l’écran, pas même Lucy Gordon dans le rôle de Jane Birkin.

Que se passe t’il alors ? Le film tombe dans le piège de l’imitation. Les acteurs sont tous absolument fabuleux, Laetitia Casta joue à merveille Brigitte Bardot, idem pour Lucy Gordon en Jane Birkin. Le travail de chacune (Anna Mougladis, Mylène Jampanoï etc.) a du être considérable pour arriver à un tel résultat et en même temps on imagine justement une certaine frustration de leur part dans le fait que les personnages traversent un moment l’histoire, ne réapparaissent jamais et n’existent donc pas vraiment.

Gainsbourg prend toute la place et Eric Elmosnino parvient magistralement à être Gainsbourg. A n’importe quel âge, il convoque les souvenirs qu’il nous reste du chanteur sans les trahir. Les efforts de l’acteur pour endosser à ce point le costume de Gainsbourg sont impressionnant. Reste que l’on est dans le registre de l’imitation, de la même manière que Marion Côtillard avec La Môme ou Xavier Demaison avec Coluche, et au préjudice peut-être de l’incarnation pure…

Gainsbourg (Vie héroïque) est finalement assez bancal, à la fois source de fascination pour les comédiens, qui parvient à donner une image originale de Gainsbourg et qui en même temps n’échappe pas à un certain formatage, des passages obligés comme l’entrée de Casta sous fond de Initials B.B, qui n’était peut-être pas si obligés que ça. L’angle narratif choisit est aussi contestable. Le film donne une vision fantasmée de Gainsbourg, qui est totalement assumée par le cinéaste – lequel se justifie encore avec un carton final pour expliquer que le film ne rend pas compte des vérités de la vie du chanteur mais bien de ses mensonges – mais qui du coup donne l’impression de trop de contradictions. A la fois appliqué et classique, et en même temps porteurs de quelques audaces et originalités, Gainsbourg (Vie héroïque) n’est pas un biopic banal, c’est certain et heureux, mais pas extraordinaire non plus. Ce que l’on regrette donc tant Gainsbourg lui même a toujours émargé au-delà de l’ordinaire…

Benoît Thevenin


Gainsbourg (Vie héroïque) – Note pour ce film :
Sortie française le 20 janvier 2010

Lire aussi :

  1. A Single man de Tom Ford (2009)
  2. Here de Ho Tzu Nyen (2009)
  3. Vengeance de Johnnie To (2009)
  4. Le Ruban Blanc (Das Weisse Band) de Michael Haneke (2009)
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9 commentaires sur “Gainsbourg (Vie héroïque) de Joann Sfar (2009)”

  1. valerie dit :

    J’aime bien les bd de Sfar, mais je n’ai pas envie de voir son film, car pour moi, il n’est pas assez adulte et sexuel pour rendre quelque chose de Gainsbarre qui faisait que même enfant sa presence télévisuelle me fascinait. En revanche ton article est excellent!

  2. Foxart dit :

    Je n’ai lu qu’en diagonal ton article car j’ai très envie de voir ce film…

    J’ai compris tes réserves et je les partage totalement concernant Coluche, Piaf et j’ajouterais la pire de ces imitations: Sagan par Testud.

    néanmoins je reste très attiré par ce film dont les quelques images m’ont sembler transcender ce problème de l’imitation dans le style même de la mise en scène.

    J’ai tellement d’attirance pour ce film que j’ai même déjà commandé la BO (en double CD collector !!)tant le projet semble intéressant dans sa bande son elle-même.
    Bon et puis je suis un grand admirateur de Gainsbourg, grand fan de Birkin, Bardot et France Gall, j’aime bien l’idée de Mouglalis en Greco, Jampanoi m’a impressionné dans Martyrs et j’ai hâte de la revoir au ciné, fan de Gonzales, j’adore Bambou, Charlotte, bref… je suis très imprégné de Gainsbourg & Cie.
    Et le projet de prendre ce parti de montrer Gainsbourg par le biais des femmes me parait très intelligent et séduisant.
    A priori et sans avoir vu le film, évidemment…

    Quand à la remarque de Valérie sur le fait que Sfar ne soit ni assez adulte ni assez sexuel pour créer Gainsbourg à l’écran, j’espère que Joann Sfar lira cette petite phrase qui devrait le faire rigoler, sans doute, à 38 ans lol

  3. Benoît Thevenin dit :

    @ Valérie : merci !

    @ Foxart : Je pense que Valérie veut parler de son univers bédé, ce qui est juste je crois :)

    je serai curieux d’avoir ton avis Foxart.Je vais pas en rajouter on en reparlera éventuellement quand tu auras vu le film. Par contre, la b.o c’est effectivement fort. Le travail d’Elmosnino (et Casta aussi) pour arriver à nous faire réentendre Gainsbourg et Bardot est très fort. J’imagine l’investissement des acteurs dans ce projet et c’est particulièrement louable.

  4. selenie dit :

    Juste une précision, ce n’est pas un biopic ! Un biopic est le résumé plus ou moins précis d’une existence. Comme Joann Sfar l’a précisé il n’en est nullement question ici ; son film est plus un hommage par le biais d’une vie fantasmée par un auteur. Par exemple « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola n’est ni un biopic ni un film historique, juste une vie revisitée par un oeil nouveau sous un autre angle. Bref « Gainsbourg vie héroïque » n’est pas un biopic.

  5. Foxart dit :

    Malheureusement ma hernie discale m’interdit de ciné pour quelques mois encore, sans doute… Alors je devrais attendre la sortie DVD prévue en juin, apparemment.

    Concernant la remarque de Sélénie, je viens de voir Sfar à la télé dire exactement la même chose. Que ça ne l’intéressais pas du tout de faire un biopic.
    Il a même semble t’il pris quelques liberté par rapport à la réalité. Par exemple par rapport à la nudité.
    Il voulait montrer Gainsbourg nu pour le montrer dans un état de « fragilité », alors qu’il savait pertinemment l’immense pudeur de Gainsbourg qui faisait que même les femmes avec qui il vivait ne le voyaient pratiquement jamais nu… Entre autre exemple…
    Certains faits sont purement fictifs, aussi, apparemment… Il puis il y ces plongées dans le conte, le fantastique avec cette créature Gainsbarrienne, par exemple.
    Encore une fois, je n’ai pas vu le film, mais je ne pense pas en effet qu’on puisse parler de Biopic au sens où La Mome ou Sagan étaient eux VRAIMENT des biopics… dans le pire sens du terme, surtout si l’on compare avec ce que le cinoche US réussi parfois admirablement dans ce genre…

    Bon en tous cas, j’attendrais…
    Avec impatience…

  6. Benoît Thevenin dit :

    Vous n’êtes quand même pas si naïfs ?! Bien sûr qu’il s’agit d’un biopic, autrement dit en français, une biographie filmée.

    Il est évident que n’importe quel portrait cinématographique d’une personnalité s’accommode de la réalité. Il s’agit toujours d’une vision personnelle à un auteur avec une part fantasmée(plus ou moins grande). Il est tout aussi évident qu’il ne fait jamais prendre un film comme le tributaire d’une vérité quelconque, qu’il s’agisse d’un biopic ou d’un d’un film historique. « Invictus » a beau avoir valeur de témoignage, Eastwood raconte une histoire à sa manière, selon un certain angle, en opérant divers choix. C’est la même chose ici.

    Que Joann Sfar souhaite apporter une nuance, faire comprendre que son film est très personnel et pas un biopic classique, c’est une chose, mais enfin bon soyons sérieux, il raconte malgré tout la vie de Gainsbourg, à sa manière, en choisissant de montrer ce qu’il veut (d’autant que le récit est très elliptique et guère structuré), en omettant d’autres choses, en fantasmant certaines situations….
    Avec « Walk the line », qui est un peu l’étendard du biopic moderne, que James Mangold soit plus proche de la réalité de la vie de Johnny Cash que Sfar l’est avec son film par rapport à Gainsbourg, sans doute et je ne dit pas autre chose, mais Mangold lui aussi s’est fatalement arrangé avec la réalité.

    Il est de toute façon impossible de résumer précisément en 2h la vie entière d’un homme, de même qu’il est impossible de connaître la réalité des scènes qui se sont joués entre les gens. On parlera toujours d’un travail de scénario et de mise en scène, autant de choses qui déforme ce qui s’est passé à l’Instant I.

    Qu’il veuille l’admettre ou non, Joann Sfar a réalisé une biographie de la vie de Serge Gainsbourg. Il n’avait qu’a pas l’appelé « Gainsbourg (Vie héroique) » sinon, et faire comme Gus van Sant avec Last Days, inventer une histoire en s’inspirant d’une autre réelle et connue.

    Qu’il n’ait pas réalisé un biopic 100% classique, c’est une certitude, mais il s’inscrit dans cet espèce de genre/catégorie, qui ne se limite pas qu’a un schéma réducteur. De la même manière que la SF ne se limite pas aux oeuvres parlant de soucoupes volantes. Les spectres sont bien entendu plus larges.

    Sfar il fait de la communication pour prévenir que son film est différent. Il ne faut pas pour autant prendre pour argent comptant tout ce qu’on veut nous faire gober..

  7. valérie dit :

    je parlais effectivement de l’univers bd de Sfar, que j’aime assez mais qui pour moi n’a rien à voir avec celui du Gainsbourg! En couv de metro sfar disait justement que gainsbourg lui donne envie de devenir adulte , ça n’est pas parce qu’on a 38 ans qu’on est adulte :)!

  8. Boustoune dit :

    Ouh! Quelle polémique autour de cette notion de biopic… Mais finalement, est-ce si important que cela?

    Tu as raison, Benoît, il est impossible de raconter de façon exhaustive la vie d’une personne, surtout quand elle a été aussi riche en rencontres, événements et changements que celle de Gainsbourg, incarnation de l’élégance dans les années 60 et icône subversive des années 80.

    Mais la démarche de Sfar est effectivement différente de celle de Diane Kurys ou Olivier Dahan.
    Le côté Gainsbarre l’intéresse moins que la formation artistique du jeune Gainsbourg, la façon dont le petit garçon juif malicieux, mais timide et complexé s’est forgé une personnalité forte grâce à l’art.
    Cela lui permet d’y greffer ses propres obsessions, celles déjà mises en avant dans ses BD, et de mettre en place une narration fantastico-onirique qui correspond assez à son propre style.

    Le film n’est pas totalement abouti car justement, il n’assume pas jusqu’au bout ce parti-pris. En fin de film, le côté « conte fantastique » s’efface au profit de plus de réalisme, peut-être pour ménager la chèvre et la tête de chou et ne pas désorienter totalement ceux qui s’attendaient justement à un biopic classique. Dommage, car ceux-ci seront de toute façon déçus et que la seconde partie du film, moins dense que la première, laissera sur leur faim tous les autres.

    Mais c’est néanmoins un véritable film d’auteur, avec un point de vue très personnel sur le mythe Gainsbourg, qui respecte finalement assez bien les différents aspects du personnage, son côté provocateur, ses pulsions autodestructrices, son génie créatif et tous les complexes liés à l’enfance et à la frustration d’avoir dû privilégier la chanson plutôt que la peinture.

    Il est quand même rare qu’un premier film soit aussi riche formellement, aussi inventif et audacieux (ces marionnettes, il fallait oser!), aussi précis dans la direction d’acteur (Ce sont des imitations, d’accord, mais elles sont bluffantes…).
    Bref pour moi, même si le film est effectivement bancal, c’est globalement réussi…

  9. Foxart dit :

    Valérie> Adulte, certes non, je te l’accorde… mais sexuel… 😉
    J’avais bien compris que tu faisais référence à la BD de Sfar mais ta phrase m’avait amusé, c’est tout, sans méchanceté aucune !

    Ben> c’est vrai que la notion de Biopic est tout de même rattachée à un genre précis et quasi-spécifiquement anglo-saxon.
    C’est pourquoi certains films qui se démarquent des codes du genre, comme I’m not there, Man on the moon, Marie-Antoinette, Fur, etc… me paraissent difficiles à rattacher au genre.
    Mais en même temps, c’est vrai qu’on s’en fout lol
    Par contre, je viens d’apprendre que Sfar avait proposé à Charlotte de jouer le rôle de son père… Et je trouve que c’était une idée géniale !
    Malheureusement, elle a refusé, ce que l’on peut aisément comprendre. Mais on peut quand même rêver à ce que le film aurait pu être avec cette actrice géniale jouant LE rôle de sa vie…
    Elle avait déjà tenté l’inversion des rôles dans Boxes de Birkin et je trouvais que c’était un parti pris émouvant autant qu’audacieux.

    Sinon, pour changer de sujet, totalement: Je viens de voir ENFIN Stella de Sylvie Verheyde… Et WAOW !
    J’en suis encore tout retourné.
    Quelle merveille ce film !!!
    Une réussite totale : LA grâce…

    Mon top des films 2008 s’en trouve tout chagrin de n’avoir pu compter ce bijou dans ses rangs…

    En fait les « Tops » devraient être conçus pour être remis à jour constamment au fil du temps et des découvertes de nos séances de rattrapage…

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