American Splendor de Shari Springer Berman et Robert Pulcini (2005)


Harvey Pekar vit une vie banale, voir minable, à Cleveland, loin de tout. Il traîne son caractère impossible et cherche une issue qui le sortirait de son quotidien désespéré. Il rencontre Robert Crumb, génie dessinateur de la BD underground américaine, et devient, à ces heures perdues, scénariste pour comics. Il y raconte son existence blasée et son regard cynique, aigri même, sur la société américaine. Ca s’appelle American Splendor et ça deviendra, près de vingt ans plus tard, un film.

Le film débarque en France à l’automne 2003, auréolé du Grand Prix du festival de Sundance et du Prix de la critique internationale à Cannes. Il arrive aussi environ un an après la sortie du sympathique Ghost world de Terry Zwigoff, dont la filiation avec American Splendor est plutôt évidente puisque comme ce dernier, Ghost World est l’adaptation d’une BD initié par Robert Crumb (mais scénarisée par Dan Clowes).

Certes, l’esprit de ces deux films est relativement similaire mais les différences d’approche scénaristique et cinématographique incitent incontestablement à envisager American Splendor comme un film à part.

L’histoire en elle-même n’a rien de réjouissante, comme en atteste l’introduction de cet article. En fait, ce qui fait d’abord l’intérêt de ce film, c’est ce personnage complètement névrosé qu’est Harvey Pekar, soit une sorte de compilation de tous les personnages de Woody Allen, en moins intello. Il passe son temps à maudire la terre entière, à se plaindre et à encaisser les petits drames de la vie. Le ton est très sarcastique et c’en est on ne peut plus drôle et plaisant.

American Splendor constitue donc un authentique portait d’Harvey Pekar en même temps qu’il met en perspective l’esprit des bandes dessinées, méconnues en France mais célèbre de l’autre côté de l’Atlantique.

L’originalité du traitement réside lui dans la mise en scène même du personnage, c’est-à-dire plusieurs Harvey cohabitant dans le même espace diégétique : l’acteur Paul Giamatti (excellentissime) identifié comme tel, comme un simple acteur donc ; le vrai Harvey, intervenant soit pour dynamiser, relancer le scénario ou pour justifier ces actes selon un processus comique ; et enfin l’animation de Harvey. Ainsi, les réalisateurs mettent en lumière la multiplicité et le caractère presque schizophrénique parfois d’Harvey Pekar. Ce procédé met aussi en lumière l’aspect mi-documentaire du film, intégrant d’ailleurs des images d’archives des passages du vrai Harvey sur le plateau de David Letterman…

Le résultat vaut le coup d’œil. Et s’il peut permettre une distanciation du spectateur par rapport aux films très propres, très politiquement correct, très académique, qu’il nous ait d’ordinaire proposé de voir, ce n’est pas plus mal.

Benoît Thevenin


American Splendor – Note pour ce film :

Sortie française le 8 octobre 2003

Lire aussi :

  1. Sin City de Robert Rodriguez, Frank Miller et Quentin Tarantino (2005)
  2. American Honey d’Andrea Arnold (2016)
  3. L’Armée du crime de Robert Guédiguian (2009)
  4. Robert Mitchum est mort de Olivier Babinet et Fred Kihn
Email

Laisser une réponse