A bout de souffle de Jean-Luc Godard

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Après cinq courts-métrages, dont Tous les garçons s’appellent Patrick avec Jean-Claude Brialy, Jean-Luc Godard est poussé par ses deux amis des Cahiers du Cinéma, Claude Chabrol et François Truffaut, à réaliser son premier long. C’est d’ailleurs le jeune cinéaste des 400 coups qui présente à Godard le fait divers qui inspirera le scénario d’A bout de souffle.

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Michel Poicard (Jean-Paul Belmondo), petit voyou sans grande envergure, remonte de Marseille vers Paris au volant d’une voiture volée. Arrêté pour un contrôle d’identité, il abbât froidement le policier et entame une cavale. A Paris, il retrouve Patricia (Jean Seberg), une étudiante américaine rencontrée à Nice dont il est tombé sous le charme.

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Avec Les 400 coups, A bout de souffle est le film emblématique de la Nouvelle Vague. Dans sa forme, son esprit, son rythme, le film de Godard est effectivement en totale rupture avec le cinéma de Papa qu’il ne supportait plus avec ses comparses du gang des Cahiers. Là ou Truffaut se retournait sur son passé, son enfance, Godard met lui toute de suite les pieds dans le plat du monde des adultes. Dans l’une des toutes premières séquence, via le personnage joué par Belmondo, il fait la démonstration de son caractère révolté et anarchiste. « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la campagne, si vous n’aimez pas la ville, allez vous faire foutre ».

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Michel Poicard est insaisissable au sens propre comme au figuré. La police le recherche activement et lui déambule avec désinvolture, libre de toute entrave, pratique un langage cru dans son dialogue avec la belle américaine etc. Il se fout de tout et le fait bien savoir. Dans une courte scène, une jeune fille arrête Michel dans la rue et lui présente un numéro des Cahiers du cinéma. Il répond dans un très joli pied de nez « moi, j’aime les vieux » à l’étudiante soudain désemparée.

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Pendant presque toute la décennie des années 50, Jean-Luc Godard est chroniqueur pour Les Cahiers du Cinéma, nouvelle revue cinéphile fondée par Doniol-Valcroze, Bazin et Lo Duca. La politique des auteurs pratiqué par les Cahiers les fait opposer la vitalité d’un cinéma américain bien porté par Hitchcock, Wilder et Hawks entre-autres, à un cinéma français qui s’endort sur ses lauriers. Rien de surprenant donc à ce que Godard donne un coup de pied dans la fourmilière du cinéma français en recyclant certaines images directement issues des films américains qu’ils admiraient alors. Michel Poicard s’imagine volontier en Bogard, porte le même chapeau et l’imper’, même s’il n’a évidemment pas le même charisme que son modèle, et se réapproprie certains gestes. La clope au bec, les lunettes noires des policiers, sans oublier le fait que Patricia soit américaine, participent de l’espèce de sentiment d’un jeu d’enfant organisé dans les rues de Paris. On est à la lisière du pastiche, sauf qu’heureusement le film ne s’enlise pas sur cette impression là. Godard recycle quelques images, cites de grands auteurs comme Aragon, mais il fabrique aussi beaucoup de neuf.

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La rupture esthétique entre La Nouvelle Vague et les artisans de la Tradition de la qualité, est manifeste dans A bout de souffle, encore plus que dans certains autres film modernes estampillés Nouvelle Vague. La caméra ne se contente pas d’être dans la rue, de filmer les personnages librement sur les Champs-Elysées à la stupéfaction de passants qui ne peuvent s’empêcher de se retourner pour regarder ce qui se passe. La caméra est sans cesse en mouvement, panote ou roule sur travelling – même si Godard bricole l’effet avec un fauteuil roulant. Le cinéaste use, voir abuse, des faux raccords,  favorisant un rythme précipité ou l’ellipse est comme la ponctuation d’une mise en scène lancée sur les chapeaux de roues, sinon à bout de souffle.

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Mais Godard n’est pas à une contradiction près non plus. Oui, car une bonne partie du film se déroule quand même non pas dans la rue, mais dans le cadre exigu d’une chambre de bonne. Là aussi, la caméra est particulièrement mobile, mais cloisonne l’intrigue, isole les personnages. La narration est là en suspend, car il ne se passe rien de fondamental. Les deux lignes du synopsis ne sont jamais vraiment développées, ca n’intéresse visiblement pas beaucoup Godard. Le film tient alors grâce à l’enthousiasme des comédiens, la complicité entre Belmondo et la sublime Jean Seberg. Michel Poicard est particulièrement bavard mais ses tirades sont truculentes.

Il y a là tout le cinéma à venir de Godard en complète gestation. On retrouve l’idée du couple en cavale de Pierrot le fou, l’isolement du Mépris, l’art du sampling que l’on découvrira plus tard si précieux à Godard, et cette thématique de la trahison qui surgit vers la fin et qui sera bientôt récurrente dans son oeuvre. On note aussi avec une certaine délectation le mauvais rôle que s’attribue Godard dans le film, celui d’un passant-délateur. Le cinéaste semble déjà se complaire dans une attitude capricieuse, ambigüe, provocatrice.

A bout de souffle est en 59 riche d’à peu près toutes les audaces, un film libre, irrévérencieux envers les anciens, dans la fascination de modèles lointain, qui prône une certaine liberté, un jemenfoutisme, une sexualité décomplexée etc. Pas étonnant que le film continue de fasciner autant. Il ne se démode pas, véhicule des images qui appartiennent aujourd’hui à la mythologie du cinéma et qui continue d’alimenter beaucoup de fantasmes…

Benoît Thevenin


A bout de souffle – Note pour ce film :

Sortie française le 16 mars 1960


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  1. Vivre sa vie de Jean-Luc Godard (1962)
  2. Les Carabiniers de Jean-Luc Godard (1963)
  3. Alphaville, une étrange histoire de Lemmy Caution de Jean-Luc Godard (1965)
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Aucun commentaire sur “A bout de souffle de Jean-Luc Godard”

  1. Axel dit :

    – Quelle est votre grande plus grande ambition dans la vie ?
    – Devenir immortel et mourir.

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