Mon Oncle de Jacques Tati

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Après avoir chanté les loisirs estivaux des français d’après-guerre, Jacques Tati s’offre un Oscar à Hollywood avec « Mon Oncle, » fable poétique, tendre et iconoclaste.

Monsieur Hulot est rentré de ses vacances. Mon Oncle est le premier film immédiat depuis la révélation de ce personnage en 53. Il aura donc fallu plus de cinq ans pour que Jacques Tati donne une suite aux tribulations de son facétieux préféré.

Cinq ans, c’est le délais nécessaire pour mener à un bien l’ambitieux projet que constitue Mon Oncle. Jacques Tati pose on regard sur une modernité par bien des égards fascinantes mais dans laquelle le cinéaste, ou tout du moins le personnage de Mr Hulot, ne se reconnaît qu’assez peu.

Mon Oncle est le premier film en couleurs de Jacques Tati, et autant

dire que l’artiste fera très bon usage de cette opportunité nouvelle pour lui de colorer un peu plus un cinéma déjà chatoyant. La modernité nous éclate aux yeux dès les premières images. Les voitures roulent dans une chorégraphie parfaite, idée et forme que l’on retrouvera dans Playtime et Trafic.

Le décor de la ville, neuf, géométrique, tranche d’emblée avec l’univers jusqu’ici champêtre et désuet des films de Tati. Rappelons-le, Tati au cinéma, c’est d’abord François le facteur, jusqu’à ce que le réalisateur se désintéresse de ce personnage ci pour mieux donner vie à ce doux-rêveur de Mr Hulot. Mais il y a au moins un élément qui relie les deux héros de Tati. Signe de l’inadaptation au monde moderne émergent de Mr Hulot, ce dernier se déplace en vélo, comme François Le Facteur et au contraire de la plupart autour de lui.

Dans Mon Oncle, Tati moque la modernité, laquelle semble grignoter le lien social. La preuve, c’est que Monsieur Hulot tente toujours de s’intégrer à cette société qui ne lui  correspond pas, mais celle-ci le snobe ostensiblement, le tiens a l’écart, nourissant forcément un mépris mutuel. Dans la villa toute neuve de sa soeur, il ne manque rien, tout fait usage même si tout est accessoire et donc dispensable. Il ne manque rien, sauf la chaleur humaine.

Pour rire de la modernité, Tati place Mr Hulot en position d’observateur, chose commune à tout ses films Hulotiens, et dirige l’objet de ses sarcasmes contre les femmes. Eh, oui ce sont principalement elles qui en prennent pour leurs grades – bien que le gendre de Hulot ne soit pas épargné non plus – Tati fustigeant leurs manières, les présentant en fashion victims, grotesques au possible, les coiffant par exemples de chapeaux improbables. Tati aimait sans doutes les femmes, mais son oeuvre ne leur rend pas grâce. La chose sexuelle intéresse peu le cinéaste, plus attaché à disséquer les petits défauts de ses contemporains qu’a raconter l’amour que tous les artistes ou presque nous content et nous chantent.

Mon Oncle est pourtant un film doux et charmant, comme l’air devenu mythique qui accompagne Hulot pendant tout le film. L’objet de sa tendresse est peu dirigé vers les femmes mais son empathie pour les enfants, les chiens et les plus simples gens de la rue est tout autant manifeste. L’enfant de sa soeur, la tenancière maniaque de la Villa Arpel, est d’ailleurs exonéré des défauts de ses parents. Mieux, il est perçu comme un otage, un prisonnier de cette maison.

Car à n’en pas douter, la principale angoisse de Tati, et donc de Mr Hulot, c’est cette solitude et l’incommunicabilité auxquels la modernité semble condamner chacun. Hulot n’est pas un obstinément contre la modernité. Il circule en vélo mais prend l’avion. Il faut bien noter ça car comme le disait André Bazin « par les moyens propres de l’art, Mon Oncle ne contrecarre pas le progrès : il lui donne des chances de s’humaniser ».

Avec Mon Oncle, Jacques Tati propose déjà ce que l’on peut considérer maintenant comme la vision complète de son art : rigueur esthétique et sonore, science du gag, un propos lucide sur l’évolution de son monde etc.  Le cinéma sophistiqué de Tati est bien né, d’une profonde efficacité burlesque, et demeure aujourd’hui plus que jamais indémodable.

Benoît Thevenin


Mon Oncle – Note pour ce film :

Sortie française le 10 mai 1958. Réédition le 6 juillet 2005


NB : Un des deux assistants de Jacques Tati  crédité au générique de Mon Oncle, est Pierre Etaix, cet autre génie burlesque du cinéma français. Etaix était engagé depuis de très longues années dans un combat juridique pour ses droits d’auteurs. Nous profitons donc de cet article pour signaler la décision de justice récente du 26 juin 2009 et qui restitue à Etaix ( ainsi qu’à son collaborateur Jean-Claude Carrière) ses droits sur ses oeuvres. On peut maintenant espérer revoir bientôt Yoyo ou Le Soupirant :)

Dans Mon Oncle, Pierre Etaix apparait également en postier farceur, comme un hommage à François le facteur. Etaix est également le dessinateur de l’affiche originale et l’inspirateur, sans doute, de quelques gags. Tati-Etaix, deux amitiés franches, deux personnalités artistiques qui se seront nourries mutuellement, et qui auront subit en fin de carrière le déshonneur de complexité juridiques qui nous auront privé injustement, pour l’un comme l’autre, trop longtemps de leurs talents.

Lire aussi :

  1. Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati
  2. Exposition Jacques Tati : Deux temps, trois mouvements à la Cinémathèque Française
  3. Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (Lung Boonmee Raluek Chat) d’Apichatpong Weerasethakul (2010)
  4. Un Prophète de Jacques Audiard (2009)
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Un commentaire sur “Mon Oncle de Jacques Tati”

  1. Foxart dit :

    Celui là je l’adore, quelle inventivité, quelle poésie, un chef d’oeuvre !

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