Le Client d’Asghar Farhadi (2016)

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Trois ans après la parenthèse Le Passé (2013), tourné en France, Asghar Farhadi marque son retour en Iran avec un film, son huitième, entre thriller psychologique et drame bourgeois. La recette ne surprendra pas ceux qui sont déjà familiers du cinéma de son cinéma. Si la mécanique narrative est connue, elle est aussi finement rodée, et Le Client ne dépareille pas des précédents long-métrages de son auteur en terme d’efficacité.

Dès les premières images, le spectateur est comme pris à la gorge. Farhadi nous embarque dans l’urgence de l’évacuation d’un immeuble menaçant de s’effondrer. Parmi les locataires, un couple bourgeois, Emad (Shahab Hosseini) et Rana (Taraneh Alidoosti). Ils sont comédiens, en train de répéter une mise en scène de Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller. Un membre de la troupe leur propose une solution de relogement, sans rien mentionner de particulier. Pourtant, un évènement va se produire dans cet appartement, un petit drame qui est la conséquence des dissimulations des uns et des petits arrangements des autres.

Rana a été surprise dans sa nouvelle salle de bain par le client d’une prostituée qui recevait au même endroit précédemment. Choquée, la jeune femme refuse de porter plainte. L’affaire pourrait en rester là mais son mari Emad prend les choses très au sérieux et se lance dans une quête vengeresse qui dit tout de l’organisation machiste de la société iranienne.

Cette sorte d’agression dont a été victime Rana, Farhadi ne nous permet pas d’en être les témoins. Le cinéaste, par son utilisation de l’ellipse, fait preuve d’une certaine finesse. Surtout, il place le spectateur dans une position proche de celle d’Emad. De la même manière que dans Une Séparation par exemple, le film est d’abord affaire de joutes verbales. L’incident qui est l’argument du film se réglera aux prix d’intenses échanges. Si les personnages souhaitent régler leur différent sans en référer aux autorités, cela note aussi le peu de confiance accordée à celles-ci. Les dispositifs narratif et de mise en scène répondent alors à cette même logique. En choisissant d’éviter de montrer l’incident et en offrant aux spectateurs de comprendre ce qu’il s’est passé par le prisme des versions racontées par les protagonistes, Farhadi substitue de fait la cour du tribunal par le salon où il se confronteront. Emad adopte alors la position du juge, un juge autoritaire, intransigeant et partial.

A travers cette histoire, Farhadi met en scène les postures et les compromissions au sein de la société iranienne. Dans une séquence de repas avec invités, Emad contraint son épouse à jeter ce qu’elle a préparé au motif que l’argent qui a été utilisé pour acheter les ingrédients, est celui du « client ». Emad se pare de vertus morales extraordinaires mais fait preuve par là même d’une profonde hypocrisie. La façon dont il cherche à humilier celui qu’il souhaite démasquer montre à quel point ses principes moraux sont fluctuants.

Du reste, Emad s’agite beaucoup et domine par la parole. Il transfère ses frustrations personnelles dans son obsession punitive. Par contraste, son épouse Rana apparaît discrète, comme soumise. Le rapport de force au sein du couple semble pencher clairement dans un sens. Pourtant, en même temps qu’Emad sombre dans une mécanique de plus en plus violente et irrationnelle, Rana est celle qui peu à peu se révèle, prend de la hauteur, et essaie de ramener son mari à la raison. Le rapport de force ne s’inverse pas nécessairement mais il tend au moins à s’équilibrer, et cela va au-delà du seul couple entre Emad et Rana. Tous les personnages masculins se montrent misérables et pathétiques quand les personnages féminins, victimes de la couardise et de l’arrogance des hommes, se révèlent en fait celles qui sont les protectrices et les garantes d’une relative stabilité au sein du foyer.

Le couple entre Emad et Rana survivra t’il à cette histoire ? Rien n’est moins sûr. Les fissures qui en ouverture du film menaçaient d’effondrement leur immeubles symbolisent sûrement l’état de leur relation. Le vers était sans doute dans le fruit, et c’est maintenant la solidité de leur histoire qui est mise à l’épreuve.

Benoît Thevenin

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