Marina Abramović : The Artist is present de Matthew Akers (2012)

Au début du film, Marina Abramović explique qu’elle aimerait bien qu’un jour soit montré tout le travail en amont que représente la mise en place d’une exposition, les notes, les correspondances, les croquis etc . A ce moment là, Marina Abramović est justement en train de préparer la grande exposition que lui consacrera le MoMA de New York pendant deux mois et demi, du 14 mars au 31 mai 2010.

Marina Abramović : The Artist is present est à la fois le titre de ce documentaire et le nom de l’exposition au MoMA. Contrairement au désir concédé rapidement au début du métrage, le film n’a pas pour ambition de montrer tout le travail administratif qui aura permis l’organisation de l’expo.

The Artist is present retrace toute la carrière de l’artiste performer serbe née à Belgrade en 1946. Son travail, qui engage sans cesse son corps, est violent, spectaculaire, provoque des réactions, questionne, dérange, émeut. Marina Abramović bouscule les consciences, implique toujours le spectateur – sans qui la performance n’a pas ou peu de valeur – et le confronte à lui même.

Le documentaire donne principalement la parole à Marina Abramović et à Ulay, son plus célèbre compagnon de route, celui qui a partagé sa vie et son oeuvre pendant plus d’une décennie, entre 1975 et 1988. Les deux commentent le parcours de Marina, son oeuvre complète, sa façon à elle de concevoir son art, la place qu’elle occupe, sa capacité à se renouveler et à toujours être dans l’action. Ulay avoue volontiers qu’il aime toujours Marina, cette femme impressionnante, d’abord physiquement, toujours élégante et belle, travailleuse, et qui multiplie en en jouant, les paradoxes. Leur histoire d’amour est entièrement liée à leur parcours artistiques .

Le film se présente comme une sorte de visite guidée de la rétrospective, dont l’idée est paradoxale en soi. La performance implique en théorie un caractère éphémère. En cela la problématique n’est pas différente de n’importe quel spectacle vivant, et n’empêche pas la répétition, la reproduction etc. Ainsi, The Artist is present montre à la fois les vestiges des performances passées : captations vidéo, photos, enregistrements sonores etc ; mais aussi Marina Abramović a engagé plusieurs jeunes artistes performers pour qu’ils recréent certaines de ses performances anciennes. Quant à Marina, le titre de l’expo ne ment pas, elle est présente. La performance est finalement un working process permanent.

Marina Abramović met en place au sein de l’expo un dispositif simple mais exigeant qui s’inscrit dans la continuité du travail sur l’immobilité qu’elle avait commencé avec Ulay dans les années 80. Pendant toute la durée de l’exposition, chaque jour et de la première à la dernière des minutes d’ouverture, Marina Abramović reste assise immobile sur une chaise. Une table la sépare d’une autre chaise, vide, dans laquelle vont prendre place successivement les visiteurs qui le souhaitent.

Cette phase de son travail constitue toute la seconde partie du film tel qu’il est construit. Cette installation révèle ce qui est central à toute son oeuvre : un transfert des énergies, une communication. Les visiteurs (parmi eux, James Franco) se relayent chacun leur tour face à elle et tout ce qu’elle représente. L’effet est spectaculaire. La personnalité de Marina s’efface, elle devient une grande prêtresse, une sorte d’oracle que chaque personne vient consulter. Il ne s’agit pas seulement de s’asseoir en face de quelqu’un d’immobile. Marina Abramović est stoïque, et lorsqu’elle ouvre les yeux, elle fixe ceux de son vis à vis. La communication se créé là, avec un rapport de force qui tourne généralement en faveur de Marina. Les personnes se plongent dans son regard pénétrant et ils s’abandonnent. Les yeux de Marina semblent sonder l’âme de chacun des visiteurs et beaucoup s’effondrent, n’arrivent plus à dissimuler la peur qui les habitent au quotidien, et nombreux sont ceux qui tombent en larmes. Le rapport de force ne s’inverse que lorsque celui qui prend place en face d’elle est celui qui compte le plus pour elle. Confrontée à Ulay, immobile, les yeux dans les yeux, à un moment si particulier de sa vie, entourée de centaines de spectateurs qui assistent à la scène, c’est elle qui laisse couler ses larmes sur son visage. Elle prouve là sa propre vulnérabilité et la nature profonde de son lien avec Ulay.

Le film se termine en même temps que l’exposition prend fin. Matthew Akers montre aussi, brièvement, les coulisses. On voit Marina littéralement brisée le soir, par les douleurs qui sont les siennes mais qu’elle supporte car cela fait partie de la performance. Elle s’est imposée une discipline pour y parvenir. L’expérience qui en résulte ouvre toutes sortes de perspectives, intellectuelles, physiques, philosophiques, sociologiques et même politiques. Le film rend très bien compte de la cohérence et de la puissance du travail de Marina Abramović. Il y aura toujours des personnes pour se demander en quoi tout ceci est de l’art. Cette question, Marina Abramović raconte qu’on la lui demandait tout le temps à ses débuts, qu’on lui a de moins en moins posées ensuite. Effectivement, et c’est en cela que le film est parfaitement réussi, il rend compte de l’évidence – de l’importance et de la puissance aussi – de son art.

Benoît Thevenin

Marina Abramović : The Artist is present ****

Lire aussi :

  1. Kick-Ass de Matthew Vaughn (2010)
  2. Summertime (The Dynamiter) de Matthew Gordon (2011)
  3. The Artist de Michael Hazanavicius (2011)
  4. Les Enfants de Sarajevo (Djeca) de Aida Begić (2012)
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