Despues de Lucia de Michel Franco (2012)

Lucia, maman d’Alejandra, est morte dans un accident de voiture. Six mois plus tard, l’adolescente et son père emménagent à Mexico, loin de leur ville d’origine où a eu lieu le drame. Alejandra entre dans un nouveau lycée et s’intègre bien auprès de ses camarades. Elle semble moins affectée par la perte de sa mère – ou alors le dissimule mieux – que son papa, moralement à la dérive et qui se replie sur lui même. Un soir lors d’une fête avec ses nouveaux amis, Alejandra, ivre, s’offre sexuellement à l’un des garçons de la bande et qui, avec son téléphone portable, filme tout. Les images circulent vite sur internet et dès le lendemain au lycée, Alejandra doit affronter des regards qui en disent longs ainsi que la jalousie et la bêtise de ceux qu’elle fréquentait jusqu’alors.

Michel Franco s’était signalé dès 2009 avec son premier long-métrage, Daniel y Ana, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs et qui avait déjà provoqué des réactions contrastées. Les deux films fonctionnent de manière à peu près similaire. Le cinéaste décrit les conséquences psychologiques de relations sexuelles difficiles à assumer.

Dans Daniel y Ana, les protagonistes éponymes sont frères et soeurs. Kidnappés par une bande mafieuse, ils sont contraints par la menace de coucher ensemble pour une vidéo porno clandestine. Là encore, dans Despues de Lucia, c’est une vidéo qui est à l’origine d’un impressionnant basculement moral de la part de tous les personnages, même si cette vidéo là a été librement consentie à son origine.

Michel Franco décrit patiemment la lente descente aux Enfers d’Alejandra. De brimades en brimades, elle subit sans broncher le comportement de ses camarades. Elle ne s’ouvre jamais auprès des adultes qui l’entourent, son père ou bien la direction de son lycée, de ce dont elle est victime. D’une part, elle souhaite sans doute rester discrète, pour ne pas provoquer davantage le ressentiment de ses bourreaux, mais aussi pour épargner son père déboussolé et qui peine à se relever du décès de son épouse. Alejandra encaisse les humiliations à l’abris des regards. Pourtant son silence ne résout rien, et des paliers de cruauté sont franchis, toujours plus cruel pour elle.

Despues de Lucia est un film éprouvant qui, entre Salò ou les 120 jours de Sodome de Pasolini (1976) et The Great Ecstasy of Robert Carmichael de Thomas Clay (2005), n’épargne rien à son héroïne. Le récit est glaçant, d’autant qu’il s’inscrit dans un cycle inexorable que rien ne vient interrompre. Les jeunes bourreaux sont autant puérils que pervers et irresponsables. A la fois ils savent pertinemment quelles limites ils franchissent, et en même temps rien ne les interpelle qui pourrait les faire reconnaitre qu’il faut stopper les frais.

La violence psychologique qu’endure Alejandra et face à laquelle le spectateur assiste impuissant, est proprement insoutenable. Le film pose ainsi de nombreuses questions, confronte chacun à ses propres limites et valeurs morales. Ce que Michel Franco décrit, avec Daniel y Ana d’abord et maintenant avec Despues de Lucia, c’est une société mexicaine violente et qui n’exprime plus aucun tabou, plus aucun repère moral, et plus aucun attachement ou respect à l’existence de l’autre. Les figures d’autorité sont dépassées ou bafouées. Tout ce déroule dans un climat d’impunité générale.

Le dernier tiers du film, qui débouche sur un basculement idéologiquement redoutable et vicieux, ne fait que confirmer tout ce qui a été perçu auparavant. Dans le cinéma de Michel Franco, la violence des gangs – celle montrée par Gerardo Naranjo dans Miss Bala par exemple – reste maintenue à distance, mais la société civile n’est pas épargnée, au contraire. Le constat délivré  par Despues des Lucia est même particulièrement cinglant. C’est ici la jeunesse qui se comporte de la manière la plus obscène et la plus intolérable. La barbarie se renouvelle dans ses figures les plus angéliques. L’avenir du Mexique fait froid dans le dos.

Benoît Thevenin

Despues de Lucia ****

Sortie française le 3 octobre 2012

Lire aussi :

  1. Daniel y Ana de Michel Franco (2009)
  2. El Niño Pez de Lucia Puenzo (2009)
  3. The We and the I de Michel Gondry (2012)
  4. Totò qui vécut deux fois (Totò Che Visse Due Volte) de Daniele Cipri et Franco Maresco (1998)
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3 commentaires sur “Despues de Lucia de Michel Franco (2012)”

  1. cyrmen dit :

    Je sais pas moi j’ai vraiment eu du mal avec ce film, ses plans longs systématiquement filmés de la même façon (ensuite je n’ai pas vu Daniel y Ana,) Je n’ai pas ressenti ce qui a fait basculer réellement les choses, le » pourquoi du comment », franchement je m’y suis plus fait chier qu’autre chose . Le mettre à côté de Salò qui est le film le plus choquant que j’ai vu…

  2. C’est ça aussi qui est déroutant, le fait qu’il n’y a pas de moment précis où les choses basculent. C’est un cheminement progressif et incidieux. Le cinéaste joue sur ça, cette banalisation des actes, une dérive constante, irréversible, sur laquelle personne n’a vraiment prise. Ca contribue je crois beaucoup au choc que peut représenter le film.
    Daniel y ana, je l’évoque parce que Despues de Lucia s’inscrit avec cohérence dans la suite de ce film, mais en même temps ils sont tout à fait indépendants l’un de l’autre et ça ne t’aurait pas aidé à mieux apprécier le film que de l’avoir vu. Après c’est une question de sensibilité personnelle, comme souvent.

  3. cyrmen dit :

    Oui probablement ^^ Mais d’habitude, je reste pas froid devant un film de ce type, et là…je n’ai quasiment rien ressenti, et le pote avec qui j’étais pareil. Par contre je ne lis quasiment que des bonnes critiques dessus….

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