Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot (2012)

Quel cinéaste français d’aujourd’hui, mieux que Benoît Jacquot, accorde une si belle place aux femmes dans son cinéma ? Spontanément, seul les noms de François Ozon et Christophe Honoré nous paraissent pouvoir supporter la comparaison. Des plus emblématiques de son cinéma, Isabelle Huppert et Isild Le Besco, en passant par Dominique Sanda, Judith Godrèche ou Sandrine Kiberlain, les actrices ont la part belle dans le cinéma de Benoît Jacquot. Elles ont toutes quelque chose d’atypique, une beauté fascinante, et les personnages sont généralement forts et passionnant. Les Adieux à la Reine, avec son casting de rêve, est d’une manière certainement paradoxale, le film le plus glamour du cinéaste, mais de nouveau un film où les personnages qui comptent sont tous féminins.

En adaptant le roman de Chantal Thomas (Prix Fémina en 2002), Benoît Jacquot renoue avec le XVIIIe, une époque déjà visitée à travers le personnage du Marquis de Sade (Sade, 2000) et l’adaptation du roman de Benjamin Constant Adolphe en 2002 (sans compter La Fausse suivante de Marivaux qui consista surtout en une pièce de théâtre filmée). Il suffit de repenser à la scène d’ouverture de Sade, cette violence glaçante lorsque le Marquis fouette littéralement une jeune femme, pour mesurer l’intérêt de Benoît Jacquot pour un certain réalisme. Plus que du réalisme d’ailleurs, il s’agit plutôt pour le cinéaste de s’approcher de la vérité, sans chercher une exactitude absolue dans le travail de reconstitution.

Les Adieux à la Reine a été tourné dans les décors même du Palais de Versailles mais, à l’inverse d’une célèbre consoeur il y a quelques années, Benoît Jacquot ne fait pas de Versailles une prison dorée pour Marie-Antoinette. Sofia Coppola imaginait la Reine en popstar mélancolique. Jacquot y voit tout à fait autre chose.

Le film propose d’abord une magnifique rencontre, celle entre Diane Kruger et Marie Antoinette. La comédienne allemande, désormais assez bien installée dans le paysage du cinéma français, est une Marie-Antoinette idéale. Même âge, des origines germanophones, et une beauté pure qui correspond à l’image que l’on se fait généralement de la Reine.

Le personnage est vu à travers les yeux de Sidonie (Léa Seydoux), liseuse de la Reine et qui porte pour elle un amour inconditionnel. Dès les premières scènes, une tension érotique nait dans les délicats rapports entre les deux femmes. Des regards et des frôlement suffisent à faire chauffer le charbon ardent. Marie-Antoinette semble frivole et joueuse. Sidonie est coincée entre la pudeur qu’impose sa fonction et la passion qu’elle réprouve. Il lui faut contenir cette passion qui est en contradiction avec son rang social. De fait, la tension homosexuelle est longtemps incertaine, comme si la Reine usait plus ou moins inconsciemment de son pouvoir d’attraction. L’ambivalence de Marie-Antoinette se fait plus précise lorsque l’on constate la dépendance sentimentale qu’elle ressent vis à vis de sa favorite, Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen, de retour chez Jacquot après La Vie de Marianne (Tv, 1994) et La Fille seule (1995)).

Marie-Antoinette se trouve au coeur d’une rivalité sourde et déséquilibrée. La Reine joue de sa complicité avec sa servante, mais ne se rend pas compte qu’on joue avec elle aussi. Marie-Antoinette est repliée sur elle-même, sur ses tourments sentimentaux. Elle ne semble pas réaliser que la Révolution à l’extérieur du Château gronde et la menace directement. Les échos de la Révolution parviennent cependant jusqu’au palais et Benoît Jacquot réussit très bien à faire ressentir l’ambiance crépusculaire qui règne. Le château est infesté de rats, dans un état d’insalubrité qui éveille la perception de l’état de pourrissement du pouvoir. La peur s’installe, qui s’empare des nobles. La scène la plus belle du film, en plein chaos, c’est peut-être celle ou Sidonie court dans les couloirs sous-sols du palais, et slalome entre les nobles paniqués. Le désarrois sentimental de Sidonie s’accorde là avec le délitement de la Cour royale.

Esthétiquement sublime (cf. la séquence de Marie-Antoinette et Sidonie près de la cheminée), Les Adieux à la Reine est un film beau et cruel. Cruel pour Sidonie, observatrice privilégiée mais frustrée ; cruel pour Marie-Antoinette, trahie par celle qu’elle aime, cruel pour Gabriel de Polignac, qui cherche à fuir un couperet qui risque bien de la rattraper quand même. Le final du film, qui sans le révéler vraiment propose un échange de condition, est un sommet de cruauté, qui offre la preuve à Sidonie qu’elle ne compte pas assez, qui montre à quel point la Reine est dans la passion déraisonnable. Le destin de Marie-Antoinette, on le connait tous. Benoît Jacquot ne va pas jusque là. Il clôt son film à un moment ou le tournant historique s’amorce, où le pouvoir change de main et où les personnages sont laissés à leurs contradictions et leurs ambiguïtés, dans l’incertitude terrifiante du sort qui les attend.

Benoît Thevenin

Les Adieux à la Reine ****1/2

Sortie française le 21 mars 2012

Lire aussi :

  1. [Les Adieux à la Reine] Interview avec le réalisateur Benoît Jacquot
  2. Le Grand soir de Benoît Delépine et Gustave Kervern (2012)
  3. Victoria : les jeunes années d’une reine (Young Victoria) de Jean-Marc Vallée (2009)
  4. Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006)
Email

Un commentaire sur “Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot (2012)”

  1. selenie dit :

    Un très beau film, superbe reconstitution et Diane Kruger épatante… 3/4

Laisser une réponse