Saya Zamuraï de Hitoshi Matsumoto (2011)

C’est un film très différent de ses deux premiers que Hitoshi Matsumoto nous livre avec Saya Zamuraï. Le cinéaste, star de la télévision japonaise, s’était fait remarqué à la Quinzaine des réalisateurs en 2007 avec un film inclassable, débridé et fou (Big Man Japan). Son second, Symbol, montré en France au festival de Deauville Asia en 2009, confirmait la singularité d’un cinéaste génialement cinglé et mégalo mais qui n’a pas pu se frayer un chemin jusque dans nos salles. L’anomalie est réparée grâce à Saya Zamouraï, une oeuvre plus sage, posée, amusante et émouvante. Son film vise à plus de simplicité, est clairement le moins déroutant et, de fait, le plus accessible a priori pour le public. Le cinéaste reste quand même fidèle à son humour absurde, à sa façon de conduire la narration par sketchs, et conserve aussi un même style visuel.

Habitué à se mettre en scène dans ses films, Matsumoto y a cette fois renoncé. Une opération à la hanche avant le tournage l’en a empêché, mais le cinéaste y songeait de toutes les façons, dit-il. On peut y voir là un signal : en choisissant quelqu’un d’autre que lui même pour incarner le rôle principal, en l’occurrence un amateur repéré dans la rue et qui n’avait jamais vu de près une caméra,  Matsumoto semble remiser son égo et converger vers un peu de modestie.

Le pitch de départ peut faire penser à une version détournée de Hara-Kiri de Kobayashi. Un samouraï sans sabre, répudié et recherché, erre sur les routes suivi par sa fille qui se moque de la perte de son honorabilité. Livré à un seigneur, le ronin devra s’ouvrir le ventre pour expier la perte de son statut. Jusque là, on est pas très loin du film de Kobayashi. Le seigneur est cependant assez excentrique pour lui proposer un curieux challenge, réussir de n’importe quelle manière à faire rire son fils, lequel semble avoir perdu toute joie de vivre depuis le décès de sa mère.

A l’instar d’une émission télé de divertissement qui chaque jour doit se renouveler pour amuser ses spectateurs, Kanjuro Nomi va tenter chaque matin pendant trente jours de relever le défi. On pourrait alors penser que ce concept va favoriser les délires dont Matsumoto est familier. Et bien non, pas du tout, même si la séquence d’ouverture, dans laquelle le samouraï est successivement attaqué par d’improbables chasseurs de primes (la joueuse de shemizen, le garçon au pistolet et le chiroprac-tueur), laisse un temps imaginer un film encore une fois complètement dingue.

Kanjuro Nomi est un personnage brisé, lui même affecté par une tragédie, et qui parait accablé. Son énergie lui est insufflé par sa fille mais sinon sa volonté est faible, et son imagination assez peu fertile. Le scénario ne fournit pas  vraiment le prétexte à un enfilage de gags. Les tentatives de Kanjuro Nomi nous paraissent tour à tour originales et sympathiques, ou bien à l’inverse simplement pathétiques. Matsumoto n’est pas dans la même logique que dans ses deux précédents films. Il cherche moins à amuser la galerie qu’à raconter une histoire simple, belle et sensible, où il est en fait question de la relation d’un père à sa fille, de la fierté que celle-ci a besoin d’éprouver pour lui. Kanjuro Nomi, qui s’épuise désespérément et en vain, attise la sympathie. C’est le cas à l’intérieur du film, à travers l’intérêt populaire qu’il provoque peu à peu, mais aussi pour nous spectateur. On ressort de la salle véritablement touché, ému même. Le film s’achève presque sur une très belle scène dans laquelle une lettre est lue à la fille du samouraï. Le moment est magnifique, qui révèle toutes les nuances du personnage de Kanjuro Nomi, et qui permet l’affirmation de celui de la petite fille. Hitoshi Matsumoto est aussi capable de sensibilité. Et c’est en cela qu’il surprend encore cette fois.

Benoît Thevenin

Saya Samuraï ***1/2

Sortie au cinéma le 9 mai 2012

Lire aussi :

  1. [Saya Zamuraï] Interview avec le réalisateur Hitoshi Matsumoto
  2. Symbol (Shinboru) de Hitoshi Matsumoto (2009)
  3. Big Man Japan (Dai Nipponjin) de Hitoshi Matsumoto (2007)
  4. Death is my profession d’Amir Hossein Saghafi (2011)
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