L’Oiseau d’Yves Caumon (2011)

Cinéaste rare, Yves Caumon nous enchante pourtant à chaque fois. Il faut remonter à 2005 pour retrouver trace de son dernier film, Cache-cache. Yves Caumon glisse une affiche de ce film dans une séquence de L’Oiseau. Les auto-citations sont rarement de bon goût, mais là, il y a quelque chose très sensé dans le choix du cinéaste. Déjà, l’affiche est relativement discrète, en arrière-plan, et la caméra ne s’attarde pas dessus. Ensuite, dans la séquence en question, Sandrine Kiberlain fait la queue avant de pouvoir entrer dans le cinéma. Une femme la reconnait et l’interpelle. Le personnage d’Anne, celui que Sandrine Kiberlain joue donc, a donc un passé, une vie d’avant qui demeurait jusqu’alors terriblement mystérieuse pour le spectateur, et qui l’est plus encore après cette scène. Anne est connue de cette femme comme la maman d’une petite fille qui était l’amie de celle de cette inconnue. Anne est partie, mais elle est revenue. Cela pose question. Dans cette vie d’avant, il y a l’écho de Cache-cache : l’hypothèse d’une existence joyeuse, enchantée par la présence d’une enfant. Anne telle qu’on la voit depuis le début du film est une femme solitaire, mutique, triste. Quel est le mystère de sa vie qui explique sa relégation sociale ?

L’Oiseau est donc exactement l’envers du précédent film d’Yves Caumon. On reconnait cependant le cinéaste à sa sensibilité, à sa manière discrète mais rigoureuse de mettre en scène une histoire simple. L’Oiseau a ses zones d’ombres, qui font le premier intérêt du film, qui captent immédiatement l’attention du spectateur. Sandrine Kiberlain incarne à merveille cette femme qui semble vouloir rester coupée du monde, qui n’accepte pas que l’on s’immisce dans son intimité, qu’on la bouscule. Elle n’est pas une héroïne qui se complait dans la morosité ou la résignation, mais elle semble se satisfaire d’un calme pesant qui, sans doute parce qu’elle a vécu quelque chose de grave, lui convient à ce moment. Elle a la paix. C’est pourtant l’heure pour elle de se reconstruire. Il y a Raphaël, ce chef cuisinier (Clément Sibony), son patron, qui cherche à établir un contact, rompre le mutisme et la solitude d’Anne ; et il y a l’oiseau. Au départ, Anne est perturbé par des bruits provenant des murs de son appartement. Un mystère inquiétant s’installe, qui correspond au caractère réservé et dissimulé d’Anne que l’on perçoit immédiatement. Quand elle libère l’oiseau, une complicité naît. Soudain, Anne prend soin de quelqu’un. Même si ce quelqu’un n’est qu’un petit animal fragile, c’est là un premier pas. L’oiseau lui permet de laisser vagabonder ses pensées, de se préoccuper d’autre chose que ce qui la ronge. Anne place l’oiseau en cage. Anne elle-même semble vivre dans une cage. Quelque chose est en train de se passer malgré tout.

L’allégorie de l’oiseau est à la fois très simple et en même temps pas si évidente que ça. Yves Caumon la manie avec beaucoup d’intelligence, sans aller trop facilement vers la poésie, sans non plus coudre son récit avec du film blanc, en évitant au contraire les pièges. L’oiseau est là qui a une importance dans le récit, évidemment puisqu’il donne son titre au métrage, mais il n’illustre pas non plus des clichés trop évident.  Cet oiseau évoque davantage l’acceptation des autres, à laquelle Anne se butait jusqu’alors, mais qui est le chemin sur lequel elle s’avance doucement. Le récit n’est pas celui d’une libération ou d’une émancipation, pas tout à fait du moins. Le film vise d’abord à la reconstruction du personnage d’Anne, au deuil de son passé, à son consentement à vivre de nouveau avec les autres.

Le cinéaste échappe à tout sentimentalisme, toute émotion forcée ou convenue. Le récit est simplement mais méticuleusement mené, et c’est ce qui le rend si authentique et si poignant, d’autant qu’Yves Caumont a trouvé en Sandrine Kiberlain l’interprète idéale pour incarner toutes les nuances de ce personnage troublant et ambivalent. La scène finale notamment, point d’orgue de la belle relation que Yves Caumon construit entre Raphaël et Anne, est magnifique et tout à l’image du film, dans l’économie des mots, dans la pudeur des émotions, mais qui va droit au coeur.

Benoît Thevenin

L’Oiseau ****

Sortie française le 25 janvier 2012

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