Eva de Kike Maíllo (2011)

Venu à Gérardmer présenter son film, Kike Maíllo a pu étaler son sens du spectacle. Le garçon est enthousiaste, passionné, et sa présentation exaltée et « cathartique » d’Eva restera un moment fort du festival. Il fallait au moins ça pour réveiller tout le monde. Et l’on avait aussi besoin que son film soit projeté pour relever enfin le niveau d’une compétition qui est loin de déchaîner les passions. On a même pas l’impression que les films fassent débat à l’issue des séances, ce qui est un peu triste.

Eva est le premier long-métrage de Kike Maíllo, un réalisateur déjà remarqué pour ses courts-métrages (La Cabras de Freund en 1999, Los Perros de Pavlov en 2003), qui avaient au moins le mérite d’être plutôt originaux. Eva est un premier film qui témoigne d’une véritable ambition, ce que le très joli générique à la fragilité de cristal laisse d’ailleurs augurer. C’est un cachet qui sera préservé tout le long d’un film non seulement soigné, mais élégant aussi. Kike Maíllo nous raconte l’histoire d’un ingénieur en robotique, de retour dans sa ville natale 10 ans après être parti exercer ses talents ailleurs. Il réintègre la faculté de robotique qu’il avait alors quitté, et retrouve ses proches, c’est à dire son frère et sa belle-soeur qui a été une amie proche. Alex (Daniel Brül) travaille sur un nouveau projet, un robot humanoïde de dernière génération, qui s’approprie au plus près les émotions des humains. Alex souhaite créer un robot enfant et a besoin d’un modèle. Il organise d’abord un casting mais c’est en tombant sur Eva, une petite fille d’une dizaine d’année pour le moins originale, qu’il trouve son bonheur.

On ne dit rien de plus sur l’intrigue, déjà parce qu’il serait dommage de dévoiler quelques pistes qu’il sera plus agréable de découvrir par soi même, et aussi parce que la moindre ligne de résumé supplémentaire risque de gâcher une intrigue qui par certains aspects est un peu cousue de fil blanc. Il y a ainsi un côté naïf qui colle au film, mais qui fait tout son charme, celui d’un petit conte de SF, romantique, simple et émouvant.

Kike Maíllo, dans sa fameuse présentation à Gérardmer, invitait notamment les spectateurs à se laisser porter par l’histoire, offrant même à écouter avec son téléphone le thème de E.T de Steven Spielberg, un bon exemple en la matière. C’est effectivement ce qu’il faut faire, se laisser entraîner par le récit, s’abandonner à la mélancolie joliment installée par le cinéaste. Plutôt qu’à E.T. le film fait bien davantage penser à A.I. C’est une évidence, cet autre film de Spielberg a été une très probable source d’inspiration pour l’écriture de ce scénario.

Eva est un film délicat et fragile, emprunt de solitude, de regrets et de repli sur soi. Kike Maíllo nous offre quelques très belles scènes (la scène du bar au rythme de Life on Mars de David Bowie), parfois amusante (le calin du robot-ménager, brillament interprété par Lluis Homar), ou qui fonctionnent parce que le jeu qui se met en place entre les personnages d’Alex et Eva (excellente Claudia Vega) est autant sensible que profond. Kike Maíllo ne se contente pas de distiller une histoire simple et naïve, le film est au contraire marqué par les blessures du passé qui chargent tant les affects. Il y a un rapport très intelligent qui est établit entre les émotions humaines « traditionnelles » et celle qui son « offertes » aux robots. Cela nourrit une ambiguïté qui est passionnante, et en même temps constitue le terreaux de quelque chose de sombre qui est inéluctable pour quiconque n’aura pas raté la séquence d’ouverture du film. Kike Maíllo réussit cependant à trouver un équilibre ; son film ne sombre pas dans les facilités lacrimales face auxquelles il aurait été facile de s’abaisser. Non, le cinéaste reste sobre, subtile et mène son film avec beaucoup d’attention et de prudence. Il démontre sans doute possible qu’il est un cinéaste espagnol de plus dont on suivra l’évolution. Eva est la preuve d’un grand talent, et donc de bien des promesses pour l’avenir.

Benoît Thevenin

Eva ***1/2

Sortie française le 21 mars 2012

Lire aussi :

  1. Sauna on moon (Chang e) de Zou Peng (2011)
  2. Légitime défense de Pierre Lacan (2011)
  3. La Fin du silence de Roland Edzard (2011)
  4. Death is my profession d’Amir Hossein Saghafi (2011)
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5 commentaires sur “Eva de Kike Maíllo (2011)”

  1. Damien dit :

    C’est vrai qu’il a fait son show, j’ai même trouvé ça marrant parce qu’il parle super vite le gaillard! En tout cas, j’avais une intuition avant de voir le film et en effet, il est génial. Prix du public largement mérité! Belle histoire de science fiction. Les effets spéciaux sont très bien faits et pas poussifs comme dans les grosses productions holywoodiennes. Les androïdes, notamment le chat robot, ajoutent un brin d’humour… Bref ça sert à rien d’en dire trop mais il vaut vraiment la peine d’être vu. Je trouve aussi que les espagnols sont de plus en plus présents dans le cinéma de genre et ils assurent!

  2. Entièrement d’accord ! Les Espagnols sont pas mal présents depuis une bonne quinzaine d’années déjà, les japonais et coréens aussi (même si le coréen de cette année à Gérardmer « The Cat », aie aie aie), par contre, on dirais que les scandinave commencent à pointer leur museau : Morse, Norway of Life et maintenant BabyCall !

  3. Damien Gabbi dit :

    Effectivement, je commence à découvrir de bons films qui viennent de Scandinavie. Morse est très bien dans le genre. Il était présenté la première année ou j’étais allé à Gérardmer et avait remporté le grand prix. J’ai vu Manhunt et The Troll Hunter qui sont 2 films norvégiens assez fun, Dead Snow et la trilogie Cold Prey sont pas mal non plus. Pour revenir au cinéma espagnol, avec Eva, on voit que les producteurs suivent les cinéastes de genre car j’ai trouvé les effets spéciaux très soignés et à mon avis, ça doit coûter un bras! C’est dommage que ça ne soit pas le cas en France. Il parait que les budgets atribués à ce genre de films sont très très limités. En même temps, on voit les résultats en salle des films français comme Martyrs, Frontières ou à l’intérieur qui sont des petits chefs d’oeuvres mais qui ne font pas 100 000 entrées! Ou est le problème chez nous? Serions nous si peu nombreux à aimer le cinéma de genre ou y a t il un réel souci lié aux budgets, à la communication ou autre?

  4. Damien Gabbi dit :

    Au fait Benoît, j’ai bien aimé ta présentation d’Eva. J’ai retrouvé les impressions que j’avais en voyant le film. C’est plutôt bien vu et bien écrit.

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